27 juin 2024

Au sein des lycées, la tâche enseignante s’apparente progressivement à une prise en charge essentiellement individualisée des élèves. A travers trois dimensions – l’éclatement du groupe-classe, la montée en puissance de la logique évaluative, et l’ouverture des établissements à des projets individuels qui dépassent le champ scolaire – nous montrons que la dynamique actuelle dégrade fortement la dimension collective des apprentissages, et exerce des effets délétères sur les conditions d’enseignement ainsi que sur la mission intégratrice de l’institution scolaire, tout en étant source de nouvelles inégalités.

« L’éducation a pour objet de superposer, à l’être individuel et asocial que nous sommes en naissant, un être entièrement nouveau. Elle doit nous amener à dépasser notre nature initiale : c’est à cette condition que l’enfant deviendra un homme. »

Émile Durkheim, Éducation et sociologie, 1922.

Anne-Sophie Decroes
Professeure de Sciences Économiques et Sociales

Introduction[1]

Pour Durkheim, l’un des premiers sociologues à s’être intéressé à la question scolaire, l’école avait une double finalité : l’intégration de tous à la société, par une pédagogie permettant de créer des sentiments communs, sources de cohésion sociale, et la préparation des jeunes à l’exercice d’une profession, leur permettant de trouver leur place au sein de la société moderne, caractérisée par une densité renforcée (1893). Aujourd’hui, les sociologues appréhendent l’école de différentes façons : comme une institution, comme un marché (Felouzis et al., 2013), ou encore comme un appareil (Dubet et al., 1996). Sans toutes se situer sur un même plan, les différentes conceptualisations sociologiques de l’école partagent généralement le constat que celle-ci est traversée par un processus d’individualisation, à l’instar d’autres sphères de la société contemporaine : celle du travail, où la « cité par projet » (Boltanski et al., 1999) du néocapitalisme alimente l’individualisation des trajectoires professionnelles ; celle de la famille, du politique, du religieux, ou encore de la culture, où l’on assiste à une valorisation de l’idéal multiculturel ainsi qu’à une singularisation croissante des pratiques (Le Bart, 2008).

Dans ce contexte, un principe s’est progressivement imposé au sein du système éducatif : l’autonomie de l’élève. Ainsi, une approche de plus en plus courante consiste à le considérer comme un être autonome, singulier, et dont il faut accompagner les projets spécifiques. D’aucuns estiment que l’élève s’apparente progressivement à un consommateur-stratège (Ballion, 1982), faisant « ses courses » sur le marché scolaire. Cette représentation donne à voir chaque nouvelle génération comme une agrégation d’individus incités à s’emparer des différentes options qui leur sont proposées, bien plus que comme un ensemble à instruire, et auprès duquel il conviendrait de fournir une éducation morale, esthétique et politique, propice à la formation d’« êtres sociaux »[2]. S’il nous semble erroné de croire que l’on connaît désormais une situation dans laquelle les élèves – et notamment les lycéen.nes – auraient perdu tout bénéfice des apprentissages qui leurs sont délivrés, force est de constater que les conditions nouvelles auxquelles ils et elles sont confrontés – qui découlent de différentes réformes[3] – impactent négativement la capacité de l’école à créer ces êtres sociaux. En effet, cette création nécessite l’existence d’un « commun » dont nous défendons ici qu’il est affaibli par les récentes transformations institutionnelles. De plus en plus disposé à orienter son action vers un encadrement individualisé des parcours scolaires – dans un contexte de mise en concurrence généralisée (Dardot et al., 2010) – le système éducatif voit ses priorités se déplacer, au détriment de l’intégration sociale du public scolaire. En particulier, une moindre attention est aujourd’hui portée aux conditions dans lesquelles se déroule l’instruction des élèves : l’espace de la classe.

A priori, l’heure de cours, telle qu’on la conçoit scolairement, vise à rassembler des élèves en interaction afin de construire un apprentissage, réalisé à l’aide de l’action éducative mise en œuvre par un.e professeur.e. Cet apprentissage repose nécessairement sur l’intériorisation de normes scolaires – et plus largement de normes sociales – chez les élèves et sera d’autant plus efficace que celles-ci apparaissent claires et cohérentes. La classe s’apparente alors à une « petite société »[4] permettant aux élèves de développer des valeurs partagées, et de s’identifier à un « nous » intégrateur. Néanmoins, cette « socialisation méthodique des jeunes générations » (Durkheim, 1922, p. 49) nous semble désormais empêchée par les formes nouvelles que prend la scolarité dans les lycées, et dont nous présenterons trois dimensions. Tout d’abord, l’éclatement du « groupe-classe » engendré par la réforme de 2019 apparaît comme un élément central de la déstabilisation à la fois du travail enseignant, mais également du métier d’élève (Perrenoud, 2018). Ensuite, la focalisation de plus en plus forte sur l’enjeu de l’évaluation – en tant qu’indicateur décisif pour l’orientation vers le post-bac – dégrade le rapport au savoir (Charlot, 1997) que peuvent développer les élèves, les rapports entre familles et professeur.es, mais également le métier enseignant lui-même. Si les évaluations réalisées au cours de l’année scolaire ont différentes finalités[5], et ce dans le but d’accompagner les élèves dans un apprentissage progressif et sécurisant, le contexte actuel fait obstacle à cette possibilité, du fait de la montée en puissance d’une logique de compétition entre élèves. Enfin, la dynamique concurrentielle se répercute sur les établissements scolaires : entrant dans le jeu de la différenciation, notamment par le biais de leur offre éducative, les lycées se caractérisent dorénavant par leur porosité à toutes sortes de projets, qui dépassent le champ strictement scolaire, ce qui détériore encore les capacités concrètes de l’école à accomplir sa vocation première – l’enseignement – et génère au passage de nouvelles formes d’inégalités entre élèves.

I. L’éclatement du « groupe-classe » ou la gestion nouvelle de multiples individualités

Les enseignant.es de lycée font actuellement face à un public scolaire qui correspond de moins en moins au format – autrefois habituel – d’une classe, à l’effectif stable, et avec laquelle il était « acquis » de pouvoir mettre en place un travail collectif d’apprentissage.

Outre que les effectifs dont s’occupent les enseignant.es ont significativement augmenté depuis la réforme de 2019[6] – résultat de la baisse du volume horaire octroyé, par classe ou groupe de spécialité, en effectif réduit notamment – il s’agit également pour eux et elles de prendre en charge des regroupements d’élèves qui n’ont plus rien à voir avec une véritable classe, et ce à partir du niveau Première. Désormais, en fin de Seconde, les élèves sont amenés à choisir pour l’année suivante trois enseignements de spécialité, en plus des heures qui correspondent aux enseignements de tronc commun. En fin de Première, ils doivent ensuite déterminer, parmi les trois spécialités qu’ils ont suivi durant l’année, celle qu’ils vont arrêter. En comparaison avec l’ancienne organisation du lycée général (en trois séries : Littéraire,L ; Scientifique, S ; Économique et Sociale; ES), les possibilités de combinaisons choisies par les élèves sont aujourd’hui tellement nombreuses (une quarantaine en moyenne), qu’il est devenu rarissime que les classes soient composées d’élèves suivant tous les mêmes enseignements de spécialité (la même « triplette »). Par ailleurs, les élèves d’une même classe ayant un enseignement de spécialité identique ne bénéficient pas nécessairement du même cours, avec le même enseignant. Il arrive donc régulièrement que, dans cette configuration, ils et elles se retrouvent dans des groupes différents. Par conséquent les groupes de spécialité sont la plupart du temps composés d’élèves issu.es de trois ou quatre classes (parfois cinq). La complexification des emplois du temps – qui découle de cette multiplication des combinatoires suivies par les élèves – impose alors à ces derniers d’être intégrés dans une multiplicité de groupes : durant leur cours de spécialité, qui les occupent 12 heures par semaine, mais également durant leurs cours de tronc commun, qui les occupent 16 heures par semaine (en plus des options éventuellement choisies et des langues). Ces bouleversements organisationnels impactent de façon non négligeable les liens qui s’établissent entre élèves dans ces différents « collectifs » ainsi constitués, et par conséquent le travail scolaire.

Ainsi, dès le niveau Première, il n’est pas rare que les élèves présent.es dans une même salle de classe ne se connaissent pas, ou très peu. Ce faisant, ils et elles s’identifient beaucoup moins aux autres élèves qui bénéficient du même cours. Le terme même de « classe » ne fait d’ailleurs plus forcément sens pour eux : ils et elles ne savent plus toujours, lorsqu’on leur évoque un.e camarade de « classe », si on leur parle d’un.e élève qui fait partie de « leur groupe » d’un des deux – ou trois – enseignements de spécialité, ou d’un.e camarade qui suit avec eux les enseignements du tronc commun. Les élèves d’un même établissement et d’une même classe font ainsi l’expérience d’un quotidien scolaire très différent les un.es des autres, qu’il s’agisse d’emplois du temps, d’enseignant.es qui les encadrent, ou encore de contenus d’enseignement dont ils et elles bénéficient. En termes de relations entre pairs, on constate parfois la formation de petits groupes d’élèves dans le cours, mais certain.es sont, à l’évidence, plus isolé.es : beaucoup ne savent pas, par exemple, comment les un.es et les autres se prénomment, ni vraiment « qui ils sont ». Cela limite ainsi fortement leur sentiment d’appartenance à une classe, ou à un groupe stable, et, par conséquent, la solidarité entre pairs, laquelle constitue pourtant un appui précieux dans les apprentissages que les enseignant.es ont à transmettre. Il est par exemple bien plus compliqué d’obtenir, de la part des élèves présent.es, la transmission aux absent.es des cours ou d’informations concernant le cours, de les voir se prêter du matériel, ou encore d’organiser la mise en œuvre d’un travail de groupe. De sorte que cette nouvelle « organisation » pénalise les possibilités concrètes des enseignant.es de créer des espace-temps, au sein des cours, durant lesquels les élèves développent du commun les un.es avec les autres, autrement dit une représentation collective de leurs apprentissages[7].

Si le phénomène d’individualisation concerne en premier lieu les élèves, il frappe aussi les enseignant.es. Tout d’abord, bien que ces dernier.es doivent faire face à un nombre croissant d’élèves, ils sont confrontés à une injonction croissante à la différenciation pédagogique (Torrès, 2016), et donc à une orientation de leurs pratiques dans le sens d’une prise en charge individualisée des élèves. La conjugaison de l’alourdissement des effectifs (avec son corollaire : la baisse du temps moyen octroyé avec les élèves) et de l’attente institutionnelle d’une gestion individualisée du public scolaire placent les enseignant.es face à de nombreuses incohérences éthiques (Coutrot et al., 2022) qui leur donnent souvent le sentiment de ne pas pouvoir bien réaliser leur travail. Comment en effet accompagner efficacement plus de 200 élèves[8], a fortiori quand on les voit moins ?

Par ailleurs, si les enseignant.es sont confronté.es à ce processus d’individualisation, c’est également parce qu’ils rencontrent dorénavant des difficultés à communiquer avec leurs collègues, notamment sur les problèmes spécifiques qu’ils peuvent rencontrer avec les élèves encadré.es. De façon informelle, tout d’abord, la complexification des emplois du temps a réduit les pauses méridiennes communes[9], et ainsi les temps d’échanges. Les professeur.es, tout comme leurs élèves, se croisent désormais davantage qu’ils ne se voient. La réduction des interactions entre collègues, qu’elles soient inter-individuelles ou collectives, accentue la difficulté de mener une réflexion commune concernant les élèves et la façon de les accompagner. En outre, puisque l’équipe pédagogique intervenant dans une classe s’est considérablement agrandie – effet mécanique de l’augmentation des combinatoires choisies par les élèves – les enseignant.es ont moins facilement accès, au quotidien, aux collègues qui ont les mêmes élèves qu’eux. Pour s’adapter à cette situation, ils et elles compensent cette impossibilité d’accès réel en les sollicitant via Pronote[10], ce qui entraîne une forme de saturation de ces dernier.es, ayant le sentiment d’être sur-sollicité.es par leurs pairs concernant tel ou telle élève, en plus des messages qu’ils ou elles reçoivent de la part de leurs élèves et/ou de leurs parents. Cette saturation semble créer aujourd’hui, pour une partie des enseignant.es, une forme de renoncement à l’idée de pouvoir répondre à toutes les sollicitations, à l’image des messages initiés par les professeurs principaux auprès de l’équipe pédagogique de leur classe, et qui reçoivent, souvent, en retour, des réponses très parcellaires[11]. La démultiplication des classes et des groupes dont a la charge chaque enseignant.e limite ainsi, très concrètement, les possibilités réelles d’un travail – autant individualisé que collectif – de qualité auprès des élèves.

Pour les niveaux Première et Terminale, un espace institutionnel est particulièrement révélateur de cette évolution : le conseil de classe. Avant la réforme Blanquer, le conseil de classe sollicitait environ une dizaine d’enseignant.es tout au plus ; aujourd’hui, ce nombre peut dépasser les quarante professeur.es, qui ont ainsi, généralement, des élèves provenant d’un nombre de classes très élevé. Il est donc souvent impossible pour les enseignant.es d’assister à l’ensemble des conseils de classe qui les concerne. Dans le meilleur des cas, ils et elles s’organisent avec leurs collègues de la même discipline pour qu’à chaque Conseil, l’un.e d’entre eux puisse représenter les appréciations des enseignant.es de l’équipe disciplinaire[12]. Une autre possibilité est de fonctionner par « participation indirecte » : les enseignant.es de spécialité ne pouvant être présent.es à un conseil envoient un bilan au professeur principal, concernant leur groupe, lequel ne correspond pas aux autres groupes de la classe constitués pour les autres spécialités, et encore moins à la classe dans son entièreté. Cette nouvelle configuration des conseils de classe – convoquant des enseignant.es, qui ont ainsi, le plus souvent, des fractions (parfois très réduites : trois ou quatre élèves) de la classe – empêche les échanges pertinents entre collègues : puisque les groupes ne sont plus comparables, à quoi bon évoquer les problématiques de la dynamique de la classe ou du groupe ? D’un groupe à l’autre, les élèves connaissent une pluralité d’expériences socialisatrices (Lahire, 1998) qui les amènent à adopter des attitudes et des comportements aussi divers que variés.

Cette perte de repères collectifs est flagrante lors de l’étape rituelle du démarrage du conseil de classe : le tour de table. En présence des élèves délégués et des représentant.es des parents d’élèves, les enseignant.es sont invités à commenter les résultats scolaires, mais également l’ambiance de travail spécifique à cette classe ou à la partie de la classe qu’ils ont en responsabilité[13]. Avant cette réforme, ces éléments d’analyse présentés par les enseignant.es avaient l’intérêt d’offrir à leurs collègues un regard – souvent – différent du leur, d’amener ces dernier.es à prendre du recul sur l’image qu’ils ou elles avaient, jusque-là, de la classe, et éventuellement à faire évoluer leurs modalités de travail avec ces élèves. Plus encore, cet espace-temps du conseil de classe offrait aux professeur.es l’opportunité de développer, par leurs échanges sur un même collectif – la classe – une certaine réflexivité professionnelle, aussi bien dans une dimension individuelle – « ce que je fais pédagogiquement avec mes élèves » – que collective – « ce que la dynamique de la classe a comme effets sur la façon de travailler avec cette classe ». Depuis la réforme Blanquer, dans la mesure où chacun.e est bien conscient.e de la moindre pertinence de cette comparaison, mais également d’un temps individuel de parole écourté – dû au nombre croissant d’enseignant.es présent.es –, nombreux parmi eux se censurent lors de ce tour de table, et limitent, en durée comme en profondeur, l’analyse qu’ils pourraient faire de l’effectif dont ils ont la charge. Cette nouvelle configuration de la constitution des groupes et des classes conduit donc, inévitablement, à l’abandon (ou tout au moins à la forte dégradation) d’une réflexion commune sur la gestion de ces derniers : elle contraint à concevoir la relation pédagogique uniquement comme une « relation individuelle », en appréhendant les élèves comme des « cas spécifiques » indépendamment de tout effet de leur « environnement » (de la classe et des groupes dans lesquels ils et elles évoluent). Si bien que, une fois ce tour de table achevé (bien rapidement), la « communauté éducative » passe au « cas par cas », c’est-à-dire à l’analyse de ce que chaque élève a réalisé au cours de la période examinée. L’attention est donc quasi-exclusivement portée sur l’examen des parcours scolaires des différents élèves, conçus comme déconnectés de leurs conditions collectives d’apprentissage, faute de collectif stable et cohérent.

II. La montée en puissance de la pression évaluative, ou la fragilisation de la relation pédagogique au lycée.

De façon globale, l’élargissement de l’accès au supérieur[14] pour les nouvelles générations a modifié les priorités institutionnelles et, ce faisant, les conditions d’apprentissage des lycéen.nes : en France, les effectifs universitaires ont fortement augmenté à partir des années 1960, et on a pu constater une relative ouverture sociale de l’enseignement supérieur à partir des années 1980 en lien avec l’objectif de « 80% d’une génération au bac » affiché pour la première fois en 1985, permettant aux enfants d’origine populaire de trouver leur place dans des cursus d’études longues (Poullaouec, 2010). En définitive, pourtant, cette démocratisation liée à l’augmentation de la durée de scolarisation n’a pas débouché sur des trajectoires scolaires et étudiantes moins corrélées à l’origine sociale des individus (Prost, 1986 ; Beaud, 2003). En parallèle de ces évolutions, on a vu se déployer de « nouvelles politiques éducatives » (Mons, 2007), principalement guidées par le libre choix des élèves et des familles, et par l’autonomie locale des établissements scolaires, tant du point de vue administratif que pédagogique. Dans une logique de rationalisation des moyens, l’État n’est plus considéré comme devant tout gérer, mais comme devant déléguer à l’échelon local la mise en œuvre de ses politiques. De sorte que la tâche de l’État s’apparente de plus en plus, en matière éducative, à un pilotage des établissements scolaires par l’évaluation régulière de leurs résultats. Cette logique évaluative est soutenue au niveau international par les enquêtes du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA), qui permettent de comparer les résultats des différents systèmes éducatifs des pays[15]. Ainsi se diffuse et s’institutionnalise l’objectif de « performance » (Halpern et al., 2014) – on parle tantôt d’efficacité, tantôt d’efficience – dont le poids va croissant dans la gestion des établissements scolaires.

Ces transformations institutionnelles ont renforcé le rôle joué par le lycée dans la sélection scolaire, en amont du supérieur : l’évaluation, tant du point de vue de la notation que des modalités de sa mise en œuvre, y est devenue un enjeu grandissant. Elle prime, de plus en plus, la construction même des apprentissages. Ainsi, il est aujourd’hui attendu du lycée qu’il offre des conditions optimales de sélection des futur.es bachelier.es pour l’étape suivante de leur parcours. Par conséquent, la dimension certificative des évaluations se renforce fortement au sein du contrôle continu et, par ailleurs, la dimension « classante dans le cadre du dossier Parcoursup » (Inspection Générale de l’Éducation, du Sport et de la Recherche, 2023) de la notation s’affirme. La pression qui s’exerce alors sur les familles concernant la possibilité de trouver une formation dans le supérieur s’accroît, ce qui a modifié leurs attentes vis-à-vis du lycée, dont les premiers interlocuteurs restent les professeur.es. Ayant le sentiment – objectivement fondé – que « chaque note compte », celle-ci n’apparaît plus, aux yeux de ces dernières, comme une information ponctuelle du niveau scolaire d’un.e élève, inscrite dans une logique de progressivité des apprentissages. Or, cela ne va pas sans affecter la relation pédagogique entre les enseignant.es et leurs élèves, et sans phagocyter certaines de ses déclinaisons. La notation a en effet, dans ce contexte, largement perdu de sa dimension formative, au profit d’un rôle de « signal » (Spence, 1973) – positif ou négatif – de la position de l’élève dans le jeu de la concurrence qu’impose aujourd’hui l’accès aux études supérieures. Depuis l’instauration de la logique « Bac – 3/Bac +3 » faisant de l’orientation post-bac l’ultime objectif du lycée[16], la pression vécue par les familles se reporte sur les enseignant.es, qui sont parfois – et de plus en plus souvent – questionnés, voire mis en cause dans leurs pratiques évaluatives[17]. La possibilité même pour les enseignant.es de procéder à des notations qui rompent avec la logique de classement individuel est par ailleurs très largement affectée. Par exemple, les élèves apparaissent de moins en moins enclin.es à se soumettre à des évaluations qui impliquent des notations collectives (exposés), par peur, notamment, de perdre des points dans leur moyenne quand ils et elles sont mis dans des groupes avec des camarades qui leur semblent moins « performants » qu’ils ne le sont eux-mêmes.

En définitive, les professeur.es sont actuellement soumis à un nombre grandissant de prescriptions, difficilement conciliables, qui sont sources de pression au quotidien, voire de tensions avec les élèves et leurs familles : être bienveillant.e, tout en établissant une hiérarchie scolaire, par les notes, au sein de la classe, ou du groupe ; les préparer à obtenir le Baccalauréat, condition sine qua non pour poursuivre leurs études, tout en composant avec la relégation symbolique de ce diplôme, face à la sélection créée par Parcoursup ; leur ouvrir le champ des possibles en termes d’orientation post-bac, tout en étant « réaliste » quant à leurs possibilités concrètes de réussir et/ou d’être sélectionné.es dans certaines filières. Ces injonctions paradoxales (De Gaulejac, 2015) placent régulièrement les professeur.es dans une position inconfortable, voire suscitent chez eux un certain mal-être face aux impossibilités concrètes de répondre à l’ensemble de ces objectifs, à plus forte raison dans un contexte de moyens budgétaires insuffisants.

S’il peut paraître acquis que les enseignant.es, en tant que titulaires, sont des travailleurs stables, et protégés du point de vue strictement objectif de l’emploi, il n’en demeure pas moins que les dernières évolutions organisationnelles du lycée les amènent à faire l’expérience d’une précarisation subjective (Linhart, 2015). En premier lieu, les collectifs – au premier rang desquels, les sections syndicales d’établissement – voient leurs possibilités routinières de rassembler les collègues diminuer. Cela limite les moments où ils et elles peuvent recréer du commun et réfléchir ensemble sur leurs conditions de travail, qui ont été profondément bousculées ces dernières années dans le secondaire. De plus, de par le calendrier resserré des « choix » des élèves concernant les spécialités – une première fois, en fin de Seconde pour la triplette ; puis une seconde fois, en fin de Première, pour l’élimination d’une des trois spécialités suivies –, les enseignant.es sont structurellement incité.es à inclure, dans la conception de leur activité professionnelle, une dimension concurrentielle vis-à-vis des autres enseignements de spécialité. De facto, la logique de spécialisation qui s’applique aux élèves les amène à s’inquiéter des effectifs « recrutés » dans leur spécialité, et ainsi à envisager le recrutement des autres spécialités comme une menace pour le leur. Si l’existence des trois voies possibles dans l’ancien Baccalauréat général entraînait déjà ce type d’« effet pervers » (Boudon, 1979), le caractère syncrétique des séries L, ES et S le limitait néanmoins. Par ailleurs, l’orientation des élèves en fin de Seconde avait pour mérite de les emmener dans le cycle terminal, couvrant ainsi les deux années de Première et de Terminale. Une fois la filière choisie, les élèves – comme les professeur.es – pouvaient pleinement investir ces deux années, ce qui était propice à un apprentissage serein et progressif. Actuellement, plusieurs fois à l’échelle d’une année – à chaque fin de période scolaire, trimestre ou semestre – et sur deux niveaux – en Seconde et en Première – les enseignant.es sont rivés à l’enjeu des effectifs d’élèves qui auront choisi, ou conservé leur spécialité. Comme si les enseignant.es eux-mêmes étaient évalué.es en permanence, rendus alors plus vulnérables, au gré d’une incertitude renouvelée plusieurs fois dans l’année : « quel va être le nombre d’élèves choisissant/gardant notre spécialité ? ».

Cette précarisation subjective des enseignant.es face aux choix des élèves résulte d’une logique d’attractivité des établissements -comme des enseignements qui y sont proposés- dans laquelle s’inscrit désormais l’institution scolaire. Dans ce cadre, les enseignant.es sont invités à redéfinir leurs objectifs professionnels : il ne s’agit plus uniquement (prioritairement ?) d’accompagner pédagogiquement leurs élèves vers la réussite, mais également d’adopter des pratiques pédagogiques qui rendent leur discipline « attrayante »[18]. Cela modifie le rapport même que les enseignant.es ont vis-à-vis de la discipline qu’elles et ils ont choisi d’enseigner, notamment en ayant pour effet de les déstabiliser, voire de les fragiliser sur différents aspects de leur travail : en amont, sur le contenu même de leur enseignement – en termes de volume mais également d’exigence des apprentissages – comme sur les modalités d’évaluation en contrôle continu en lien avec Parcoursup ; et/ou en aval, sur les modalités d’évaluation pour le Baccalauréat, parfois – en comparaison avec les autres spécialités – estimées trop exigeantes, ce qui génère la crainte d’une désaffection de la part des élèves. De sorte que professeur.es comme élèves sont finalement engagés – souvent bien malgré eux – dans une sorte de « course à la réussite » dont les critères de jugement sont de plus en plus déconnectés de l’activité éducative en tant que telle, à savoir une transmission de connaissances et de valeurs considérées essentielles pour les élèves, aussi bien par leurs apports individuels que par les bénéfices collectifs qui en découlent (Maurin, 2007).

III. L’ouverture des lycées aux « projets individuels » des élèves, ou comment l’institution scolaire valorise dorénavant le non-scolaire 

Cette montée en puissance de la logique évaluative ne se joue plus seulement sur les résultats strictement scolaires : la sélection post-bac repose désormais également sur la valorisation de parcours « originaux ». Du fait de l’injonction croissante à « être soi » (De Singly et al., 2009) et à se constituer comme « entrepreneur de sa propre vie », les individus tendent à connaître des trajectoires marquées par une singularité croissante. Cette « déstandardisation des parcours de vie » (Bessin, 2009, p.16) se retrouve aussi au niveau des parcours scolaires : elle est particulièrement visible au moment de la construction, par les élèves de Terminale, de leur candidature sur Parcoursup. En effet, ils et elles sont alors encouragé.es à se différencier les un.es des autres, notamment en s’appuyant sur des choix d’activités et de projets divers, qui dépassent le cadre scolaire. Ils et elles peuvent par exemple effectuer des stages pendant les vacances, mettre en avant leur implication dans une association, l’expérience d’un séjour linguistique, etc. Ces possibilités se sont démultipliées avec la naissance de certains dispositifs (Foucault, 1977) dans lesquels il leur est possible de s’inscrire, comme le Service National Universel, ou la « mission Service Civique ». Les établissements scolaires sont aujourd’hui partie prenante de cette évolution. Ces derniers sont en effet de plus en plus disposés à accompagner institutionnellement les multiples « projets individuels » des élèves et, pour ce faire, à bouleverser les normes de la vie scolaire. Ainsi, la volonté des élèves et leurs familles – plus ou moins stratégique, et inévitablement différenciée selon les milieux sociaux – de se saisir de ces opportunités de distinction est de plus en plus valorisée par l’institution, voire directement encouragée et facilitée par elle, lorsqu’elles demandent à être réalisées sur le temps scolaire. Le rôle des chef.fes d’établissement paraît ici déterminant : en tant que managers (Brégeon et al., 2023), ils et elles semblent jouer l’évolution de leur carrière sur la « plus-value » apportée à l’établissement dont ils ont la responsabilité administrative, et ont donc intérêt (Crozier et al., 1977) à être pleinement actrices et acteurs d’un jeu de concurrence qui se renforce entre les établissements scolaires d’un même bassin d’éducation. Si le champ strictement pédagogique échappe, encore en bonne partie, aux chef.fes d’établissement – chasse gardée, pour le moment, des enseignant.es – ils et elles peuvent en revanche investir pleinement d’autres dimensions, qui permettent de valoriser « leur » établissement.

Cet encouragement institutionnel à la diversification des expériences des élèves en dehors du champ scolaire contribue au processus de désorganisation de la vie de la classe (ou du groupe) : certains projets internes à l’établissement – par exemple initiés par les professeur.es documentalistes du lycée, à destination des élèves qui s’y sont volontairement inscrit.es – peuvent désormais être organisés durant les heures de cours des élèves. Ces derniers ne sont alors pas considérés comme « absents » des séances de cours inscrites à leur emploi du temps puisqu’ils sont physiquement présents au sein de l’établissement scolaire, mais sont qualifiés de « détachés » sur Pronote, tandis qu’ils manquent les heures de cours qu’ils sont censés devoir suivre (V. Nora, 2023). Dès lors, en accompagnant et en légitimant cette désorganisation du temps scolaire, l’institution invite à considérer que l’espace de la classe n’est, finalement, plus vraiment celui où « ça se passe », du moins pour une partie des élèves. Ce faisant, l’enseignement, qui constitue le cœur de la mission du système éducatif, se voit relégué symboliquement par le système éducatif lui-même.

En outre, au-delà de ces effets strictement scolaires, cette « désorganisation organisée » alimente les inégalités sociales entre les élèves, car seule une partie d’entre eux – issue des familles favorisées – est disposée à s’emparer efficacement de ces possibilités nouvelles organisées par l’institution. Alors que le baccalauréat reste sans doute une forme d’aboutissement scolaire pour les jeunes de milieu populaire, la compétition entre élèves mise en place par Parcoursup pousse aujourd’hui les élèves les mieux dotés à s’inscrire plus fortement dans une logique de distinction (Goblot, 1925), et ainsi à développer des stratégies (Bourdieu, 1994a) qui leur permettent de valoriser leurs candidatures post-bac. Dans ce contexte, l’importance de la sélection scolaire pour l’accès aux places dans l’enseignement supérieur semble s’être affaiblie, au profit de nouveaux critères de valorisation de soi, exogènes à la scolarité mais organisés en son sein, et sources de capital symbolique (Bourdieu, 1994b) pour les gagnant.es de ce jeu concurrentiel.

Conclusion

La vie de la classe – ou du groupe –, telle qu’elle est aujourd’hui instituée, est en définitive bien peu propice à l’instauration de conditions collectives d’apprentissage, pourtant nécessaires à la socialisation des élèves. Non seulement ces derniers sont devenus des « cas spécifiques », déconnectés d’un collectif d’intégration, mais en plus, l’individualisation du travail mené par les enseignants s’est renforcée. Par ailleurs, la pression évaluative et la compétition entre élèves pour l’accès au supérieur se répercutent sur le lycée. Cela tend à dégrader le rapport des enseignant.es à leurs élèves (et leurs familles), mais également à leur propre métier. Pire encore, l’institution scolaire encourage – à son corps défendant – une augmentation des inégalités sociales entre élèves, mais également sa propre dévalorisation.

Dans cette perspective, on peut se demander quels effets les changements attendus au collège à la rentrée de septembre 2024 vont avoir sur l’expérience scolaire (Rochex, 1995) des élèves et sur celle des enseignant.es. Portée initialement par Gabriel Attal, alors Ministre de l’Éducation Nationale – devenu Premier Ministre – la « réforme du collège » comporte plusieurs mesures. Tout d’abord, dans une même logique du « haut vers le bas » que celle appliquée pour le lycée, la validation du Diplôme National du Brevet à l’issue du collège deviendra un prérequis conditionnant l’accès au lycée. Ensuite, en parallèle de la constitution des classes habituelles, l’instauration de groupes de niveaux – renommés depuis peu « groupes de besoin » – est prévue pour les cours de Français et de Mathématiques. Outre que les sociologues ont montré depuis plusieurs décennies l’inefficacité de ces mesures (Duru-Bellat et al., 1997)[19], la constitution de tels groupes pour deux matières va nécessairement entraîner le même type d’effets nocifs que ceux actuellement constatés au lycée : moindre socialisation entre pairs par l’individualisation des expériences scolaires vécues par les élèves, moindre réflexion collective des professeur.es sur le groupe ou la classe concerné(e), conséquence d’une moindre comparabilité des effectifs dont elles et ils ont la charge, etc. Le problème est peut-être ici néanmoins encore plus important, pour deux raisons : tout d’abord, les élèves concerné.es seront, cette fois-ci, des collégien.nes, à un âge donc – entre 11 et 14/15 ans – où la prise de repères est essentielle pour entrer dans une scolarité sereine et intégratrice ; par ailleurs, la constitution des groupes ne se faisant plus sur le critère du choix de spécialité, mais sur le niveau identifié des élèves, ces derniers risquent de s’identifier – et ce à un âge très précoce – au niveau qui leur a été « assigné » : ce processus risque d’enfermer les élèves classés parmi les « faibles » dans une image profondément stigmatisante (Goffman, 1963), délétère pour l’estime qu’ils ont d’eux-mêmes et, au-delà, pour la formation et l’entretien d’une solidarité sociale à laquelle, historiquement, l’École républicaine est intimement liée.

Notes

[1] Je remercie chaleureusement David Descamps et Agathe Foudi pour leurs relectures, croisées et réitérées, qui ont amélioré la forme comme le fond de cet article.

[2] Durkheim écrit ainsi : « […] il existe deux êtres qui, pour être inséparables autrement que par abstraction, ne laissent pas d’être distincts. L’un est fait de tous les états mentaux qui ne se rapportent qu’à nous-même et aux événements de notre vie personnelle : c’est ce qu’on pourrait appeler l’être individuel. L’autre est un système d’idées, de sentiments et d’habitudes qui expriment en nous, non pas notre personnalité, mais le groupe ou les groupes différents dont nous faisons partie ; telles sont les croyances religieuses, les croyances et les pratiques morales, les traditions nationales ou professionnelles, les opinions collectives de toute sorte. Leur ensemble forme l’être social. Constituer cet être en chacun de nous, telle est la fin de l’éducation » (1922, p. 50).

[3] Au premier chef pour le lycée, la réforme Blanquer de 2019, déjà partiellement amendée : il s’agit de la réforme du Baccalauréat général, technologique et du lycée, appliquée à la suite du rapport rédigé par Pierre Mathiot, publié en janvier 2018 (Mathiot, 2018). Elle a entraîné des changements profonds dans l’organisation du lycée : suppression des séries générales, au profit d’une logique de spécialisation des élèves organisée autour d’enseignements de spécialité – trois en Première, puis deux en Terminale ; introduction du contrôle continu dans les modalités d’évaluation du Baccalauréat ; organisation des épreuves écrites initialement imposée au Printemps de chaque année scolaire, afin que leurs résultats soient pris en compte dans la sélection à l’entrée dans l’enseignement supérieur opérée par Parcoursup. Le calendrier des épreuves du Baccalauréat a finalement été repositionné sur la fin de l’année scolaire. Seuls les deux premiers trimestres sont donc maintenant pris en compte dans les dossiers déposés sur Parcoursup.

[4] Selon Durkheim, « Une classe, en effet, est une petite société, et il ne faut pas la conduire comme si elle n’était qu’une simple agglomération de sujets indépendants les uns des autres. Les enfants en classe pensent, sentent et agissent autrement que quand ils sont isolés. Il se produit dans une classe des phénomènes de contagion, de démoralisation collective, de surexcitation mutuelle, d’effervescence salutaire, qu’il faut savoir discerner afin de prévenir ou de combattre les uns, d’utiliser les autres. » (1922, p. 28)

[5] Les évaluations peuvent être diagnostiques, certificatives, sommatives, formatives, etc.

[6] Selon des informations communiquées par l’Association des professeur-e-s de sciences économiques et sociales (Apses), en sciences économiques et sociales (SES), l’augmentation est, en moyenne, de l’ordre de 20% : « La même augmentation est à constater concernant le nombre moyen d’élèves par enseignant·e avec un passage de 170 à 203 entre les rentrées 2018 et 2019 et la mise en place de la réforme », en ligne : https://aoc.media/analyse/2020/02/10/des-effets-de-la-reforme-blanquer-sur-le-lycee-en-general-et-les-ses-en-particulier/

[7] De plus, en dehors des heures de cours, l’organisation d’une sortie, ou d’un voyage scolaire, susceptible de (re)créer du commun entre élèves d’un même groupe (ou d’une même classe) est devenue source de tensions entre collègues, précisément en raison de la désorganisation supplémentaire que cela génère, et s’avère de plus en plus complexe à mettre en œuvre.

[8] Ce nombre correspond, en moyenne, à un service d’enseignant.e de SES  encadrant « seulement » 4 classes de seconde (4×35), un groupe de spécialité en première (30 élèves environ) et un autre en terminale (30 élèves environ), soit un service, heure de chaire comprise, de 17 heures (donc un service d’agrégé.e), alors qu’un.e certifié.e en doit 18 (et qu’on peut lui en imposer 20, heures supplémentaires incluses). Le « restant dû » peut donc être réalisé, pour les certifié.es, avec une autre classe de Seconde (ou 2), de l’enseignement moral et civique (EMC), ou encore avec un second groupe de Première : au minimum donc, une trentaine d’élèves en plus.

[9] Les enseignant.es ont plus rarement qu’auparavant les pauses méridiennes en commun car les emplois du temps, plus difficiles à mettre en œuvre, sont souvent caractérisés par des cours allant jusqu’à 13h pour certain.es, quand d’autres démarrent l’après-midi sur cet horaire.

[10] Pronote est un logiciel utilisé dans la très grande majorité des établissements scolaires, qui permet, entre autres, de saisir le cahier de textes, faire l’appel, saisir les notes, les bulletins, dialoguer avec les élèves et les familles, mais également avec les collègues et/ou le personnel de l’établissement scolaire en général.

[11] On peut également ajouter que depuis cette réforme, les chef.fes d’établissement peinent à trouver des enseignant.es volontaires pour assurer la fonction de Professeur Principal, notamment pour les niveaux Première et Terminale, en raison du faible volume des professeur.es connaissant l’entièreté d’une classe (donc ceux intervenant en tronc commun). Les professeurs principaux sont ainsi devenus plus « dépendants » des informations venant de leurs collègues puisqu’ils n’ont généralement pas la totalité des élèves dans leur cours.

[12] Néanmoins, dans la mesure où les enseignant.es peuvent difficilement se retrouver pour pouvoir échanger, cette modalité est assez peu qualitative, conduisant souvent les collègues à prioriser leurs remarques sur les profils d’élève avec une situation particulière (telle que des difficultés d’apprentissage) ou en signalant leur opposition – ou au contraire leur adhésion – à des encouragements ou félicitations.

[13] Selon qu’il s’agisse d’un enseignement de tronc commun ou de spécialité

[14] Dans une étude, Alain Boissinot indique qu’« Entre 1950 et 1970, on passe de 129 000 étudiants à 695 000. On dépasse le million en 1980, pour atteindre 1 700 000 en 1990, franchir la barre des deux millions avec les années 2000 et atteindre 2 609 000 en 2016 » (2018, p. 16)

[15] Ces enquêtes font néanmoins l’objet de critiques, notamment parce qu’elles évaluent des compétences plutôt que des savoirs, et qu’elles amènent à comparer des systèmes éducatifs présentant des différences importantes (Charmillot S. et al., 2012)

[16] « L’affirmation d’un segment bac -3/bac +3 pourrait tendre à secondariser le supérieur, selon une tendance dont nous avons vu qu’elle est fortement inscrite dans la tradition française. En fait, la dynamique dont bénéficie actuellement le supérieur incite plutôt, et c’est heureux, à repenser le niveau lycée comme préparation au supérieur. Cette problématique est au cœur des réformes actuelles » (Boissinot, 2018, p.17).

[17] Dans quelques établissements par exemple, des professeur.es ont reçu des lettres anonymes de familles, leur demandant de refaire une évaluation – au nom de Parcoursup – dans d’autres conditions – meilleures, selon elles – que celles initialement mises en place par l’enseignant.e.

[18] Voire, de façon plus globale, de déployer des façons de s’adresser aux élèves et à leurs familles qui rendent leur discipline attractive. On pense par exemple aux journées Portes Ouvertes des établissements, moment de l’année où l’enjeu n’est plus uniquement de présenter le fonctionnement de la scolarité du lycée aux familles d’élèves de Troisième, mais également de donner à voir, aux élèves qui découvrent les nouvelles disciplines qui les attendent, les éléments « séduisants » de ces dernières.

[19] Le niveau moyen d’une classe s’élève davantage dans des classes hétérogènes, qui bénéficient aux élèves en difficulté et ne nuisent guère aux meilleurs. Par ailleurs, l’organisation par « groupes de niveaux » a pour effet de modifier les pratiques pédagogiques, car les enseignant.es modulent le contenu qu’ils transmettent en fonction du niveau supposé de la classe. Dans les groupes estimés faibles, les enseignant.es réduisent leurs exigences, générant ainsi une « prophétie auto-réalisatrice » néfaste pour les progrès des élèves.

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