1 février 2025

Le programme de seconde et de première de sciences économiques et sociales (SES) enseigne la théorie microéconomique néoclassique du marché. Cette théorie repose notamment sur deux hypothèses contestables : que les producteurs concurrents sont preneurs de prix, et qu’ils font face à des coûts marginaux croissants, ce qui explique que la courbe d’offre soit croissante.

Ces deux points sont contestables car peu vérifiés empiriquement. Ils sont contestables aussi car ils ne sont nécessaires que dans le cadre d’un programme de recherche qui a produit très peu de résultats théoriques et qui a été activement mis en avant pour des raisons plus politiques que scientifiques. Enfin, ces points sont complexes à enseigner et poussent ainsi souvent les professeurs et leurs élèves à la faute logique. Nous proposons dans cette série d’articles de passer en revue ces quelques critiques (partie 1) avant de proposer, en nous appuyant notamment sur ce que propose Piero Sraffa dans un article de 1926, des pistes de remédiation pour une microéconomie hétérodoxe plus proche de la réalité et plus à même d’intéresser les élèves, tout en respectant au maximum le programme (partie 2), et des exemples d’activités pouvant être menées avec les élèves dans le cadre de séquences de cours (partie 3).

« These two points in which the theory of competition differs radically from the actual state of things which is most general are: first, the idea that the competing producer cannot deliberately affect the market prices, and that he may therefore regard it as constant whatever the quantity of goods which he individually may throw on the market; second, the idea that each competing producer necessarily produces normally in circumstances of individual increasing costs »[1] (Sraffa 1926, p. 542-543).

Yoann Verger
Professeur de SES

Guy Demarest
Professeur de SES

Partie 2. Propositions de remédiation

S’il faut enseigner la microéconomie, pourquoi partir de cas limite (concurrence parfaite) ou particulier (coûts marginaux croissants)[2] ? Il parait plus judicieux de partir du cas le plus général, ce qui permettra aux élèves de rentrer de manière plus évidente dans les apprentissages, en suivant la méthode inductive souvent mise en avant en SES. Ce cas le plus général, pour Piero Sraffa, c’est la concurrence monopolistique (Sraffa, 1926).

La concurrence monopolistique est la situation où les producteurs en concurrence sur un marché parviennent à différencier leurs produits de telle manière à se constituer une clientèle relativement fidèle : « les causes de la préférence montrée par un groupe d’acheteurs pour une entreprise particulière sont de nature diverse, et peuvent aller d’une habitude prise de longue date, d’une attirance personnelle, d’une confiance dans la qualité du produit, de la proximité géographique, de la connaissance d’exigences particulières et de la possibilité d’obtenir un crédit, jusqu’à la réputation de la marque commerciale, de l’enseigne, ou du nom associé à une histoire, ou à des caractéristiques spéciales de la conception ou du design du produit qui ‒ sans en faire une marchandise distincte visant à satisfaire un besoin particulier ‒ ont pour principal objet de le différencier des produits des autres entreprises » (Sraffa 1926, p. 544). Cette concurrence monopolistique autorise les producteurs à fixer leur prix à la manière d’un monopole, avec la seule différence qu’ils ne prennent en compte que la demande particulière qui s’adresse à eux et non l’ensemble de la demande sur le marché.

Il n’est alors plus nécessaire d’avoir des coûts marginaux croissants pour trouver des équilibres, et on peut partir, du moins en classe de seconde, du cas plus simple où les coûts marginaux sont constants[3]. En classe de première, on pourra en plus aborder les cas limites de la concurrence parfaite et du monopole et les cas particuliers où les coûts marginaux sont croissants ou décroissants.

Nous décrivons ainsi dans cette partie quelles seraient les connaissances à apporter aux élèves si l’on adopte cette perspective (et non comment les apporter : nous proposerons des pistes pour le faire dans un article à suivre ‒ partie 3).

2.1 La classe de seconde

En seconde, dans le chapitre intitulé « Comment se forment les prix sur un marché ? », le programme stipule qu’il faut :

  • « comprendre que dans un modèle simple de marché des biens et services, la demande décroît avec le prix et que l’offre croît avec le prix et être capable de l’illustrer »,
  • « comprendre comment se fixe et s’ajuste le prix dans un modèle simple de marché et être capable de représenter un graphique avec des courbes de demande et d’offre qui permet d’identifier le prix d’équilibre et la quantité d’équilibre ».
  • De plus, à l’aide d’un exemple, il faut « comprendre les effets sur l’équilibre de la mise en place d’une taxe ou d’une subvention ».

Le programme se place donc dans une perspective d’équilibre partiel, sur un marché particulier. Nous proposons de présenter les points suivants aux élèves :

  • La demande d’un individu (la quantité de bien qu’il souhaite acheter) est généralement décroissante en fonction du prix (figure 1). En effet, lorsque le prix est élevé, l’individu préfèrera souvent choisir d’autres biens, compte-tenu de ses préférences et de son budget.

Figure 1 : Demande individuelle

  • La demande collective est la somme des demandes individuelles : on prendra comme hypothèse qu’elle est décroissante (figure 2)[4].

Figure 2 : Demande collective

  • C’est le producteur qui fixe le prix. Le prix dépend du coût des consommations intermédiaires que le producteur doit acheter et des salaires qu’il doit payer : il doit par exemple investir 4 euros pour produire un bien. Le prix dépend aussi du bénéfice qu’il souhaite gagner : par exemple, il décide de vendre son bien 5 euros, et donc de faire 1 euro de bénéfice par bien[5].
  • Le producteur produit ensuite une certaine quantité de biens, ce qui constitue son offre, représentée par exemple dans la figure 3. Il ne peut pas produire une infinité de biens : son offre se situe donc entre 0 et un maximum, par exemple ici 12 biens.

Figure 3 : Offre individuelle

  • L’offre collective est la somme des offres individuelles. On peut représenter cette offre en indiquant le prix moyen proposé par les producteurs, et leurs coûts et bénéfices moyens (figure 4). Ils peuvent avoir des coûts légèrement différents et les prix peuvent être légèrement différents. C’est pourquoi on parlera de coûts moyens et de prix moyen lorsqu’on considère l’ensemble des producteurs, qui opèrent en situation de concurrence imparfaite (concurrence monopolistique).

Figure 4 : Offre collective

  • Comment le producteur choisit la quantité offerte ? En fonction du prix choisi, c’est la demande qui fixe la quantité échangée. Le producteur répond à la demande qui s’adresse à lui : il produit la quantité qui satisfait les clients qui s’adressent à lui au prix proposé. Dans l’exemple, le prix choisi est de 5 euros, la demande qui s’adresse au producteur est alors de 10 biens, il produit donc 10 biens et fait un bénéfice de 10 euros (figure 5).

Figure 5 : Fixation de l'équilibre pour un producteur, en fonction de la demande qui s'adresse à lui

Le producteur cherche à maximiser son bénéfice. Lorsqu’il augmente son prix, son bénéfice sur chaque bien vendu augmente, mais la quantité demandée risque alors d’être plus faible. Il ajuste ainsi son prix de manière à avoir le plus de bénéfice. Par exemple, au prix de 6 euros, la demande est de 8 biens et son bénéfice est de 16 euros. Au prix de 7 euros, la demande est de 6 biens, son bénéfice est de 18 euros. Au prix de 8 euros, la demande est de 4 biens, son bénéfice est de 16 euros. Il choisit donc comme prix 7 euros (figure 6)[6].

Figure 6 : Ajustement de l'équilibre pour un producteur

  • Collectivement, tous les producteurs ajustent leur prix de cette façon. Ce qu’il est important de retenir, c’est que le prix moyen est fixé par les producteurs et que c’est la demande collective qui détermine la quantité vendue. Dans l’exemple, le bénéfice global est alors de 1800 euros (figure 7).

Figure 7 : Ajustement collectif de l'équilibre sur un marché

  • Une taxe payée par les producteurs entraine une baisse des bénéfices, si les producteurs décident de prendre en charge la taxe sans la répercuter sur le prix. Par exemple, si la taxe est de 1 euro par bien vendu (on parle alors de taxe forfaitaire : la taxe s’applique de la même manière sur chaque bien vendu), le bénéfice par bien vendu n’est plus que de 2 euros (figure 8). Le bénéfice global tombe à 1200 euros.

Figure 8 : Taxe payée par les producteurs

  • Si les producteurs décident de répercuter la taxe sur le prix, en espérant ainsi préserver leurs bénéfices, la demande collective devrait diminuer. Les quantités échangées seront donc plus faibles et le total des bénéfices sera quand même plus faible que sans la taxe (si les prix choisis par les producteurs avant la taxe étaient ceux qui maximisaient leurs bénéfices). Dans l’exemple, le bénéfice total est ainsi 1200 euros, alors qu’il était de 1800 euros sans la taxe (figure 9).

Figure 9 : Taxe payée par les consommateurs

  • Une subvention touchée par les producteurs entraine une hausse des bénéfices. Par exemple, si la subvention par bien vendu est de 1 euro, le bénéfice par bien vendu est de 4 euros. Le bénéfice global passe à 2400 euros (figure 10).

Figure 10 : Subvention reçue par les producteurs

  • Si les producteurs décident de reverser la subvention aux consommateurs en réduisant le prix, y gagnent-ils quelque chose ? Généralement oui, car la demande collective devrait augmenter. Les quantités échangées seront donc plus importantes. Ainsi, si les producteurs ajustent leurs prix, le total des bénéfices peut quand même être plus élevé que sans la subvention (même si les prix choisis par les producteurs avant la subvention étaient ceux qui maximisaient leurs bénéfices). Dans l’exemple, le bénéfice total est ainsi de 2400 euros, alors qu’il était de 1800 euros sans la subvention (figure 11).

Figure 11 : Subvention reçue par les consommateurs

Le programme est ainsi respecté, à l’exception de l’objectif « comprendre que l’offre croît avec le prix ».

2.2 La classe de première

En première, dans le chapitre intitulé « Comment un marché concurrentiel fonctionne-t-il ? », il faut :

  • « savoir interpréter des courbes d’offre et de demande ainsi que leurs pentes, et comprendre comment leur confrontation détermine l’équilibre sur un marché de type concurrentiel où les agents sont preneurs de prix »,
  • « savoir illustrer et interpréter les déplacements des courbes et sur les courbes, par différents exemples chiffrés, notamment celui de la mise en œuvre d’une taxe forfaitaire »,
  • « savoir déduire la courbe d’offre de la maximisation du profit par le producteur et comprendre qu’en situation de coût marginal croissant, le producteur produit la quantité qui permet d’égaliser le coût marginal et le prix ; savoir l’illustrer par des exemples »,
  • « comprendre les notions de surplus du producteur et du consommateur »
  • et « comprendre la notion de gains à l’échange et savoir que la somme des surplus est maximisée à l’équilibre ».

Enfin dans le chapitre « Comment les marchés imparfaitement concurrentiels fonctionnent-ils? », il faut également :

  • « comprendre, à l’aide de représentations graphiques et/ou d’un exemple chiffré, que l’équilibre du monopole n’est pas efficace ».

Nous proposons de faire la présentation des points suivants aux élèves :

  • Les points présentés en seconde sont à reprendre, avant d’aller plus loin.
  • Il y a déplacement de la courbe d’offre lorsque les coûts changent. Les exemples de la taxe et de la subvention ont ainsi permis de voir des déplacements de la courbe d’offre et les déplacements sur la courbe de demande que cela provoquait.
  • Il y a déplacement de la courbe de demande lorsque les revenus ou les préférences des consommateurs changent. Ainsi, par exemple, si le revenu des consommateurs augmente, la courbe de demande devraient se déplacer vers la droite, et les quantités échangées seront supérieures (figure 12).

Figure 12 : Déplacement de la courbe de demande qui s'adresse à un producteur lors d'une augmentation de revenu des consommateurs

  • La pente de la courbe de demande dépend de la manière dont les consommateurs réagissent au prix. Dans le cas de la demande perçue par un producteur, en cas d’augmentation du prix, une partie des consommateurs va continuer à aller acheter chez le producteur, une partie va décider d’aller voir ses concurrents moins chers, et une partie va cesser d’acheter le bien pour acheter à la place des substituts.
  • Quand beaucoup de clients du producteur se détournent de son produit lorsqu’il augmente son prix, on dit que la demande est élastique. On voit sur la figure 13 qu’une petite variation du prix provoque une grande variation de la quantité demandée.

Figure 13 : Demande élastique perçue par le producteur

  • Quand peu de clients se détournent de son produit lorsque le prix augmente, on dit que la demande est inélastique (figure 14). On voit sur le graphique qu’une grande variation du prix entraine une faible variation de la quantité demandée.

Figure 14 : Demande inélastique perçue par le producteur

  • Il existe deux cas limites à l’élasticité. Lorsque les producteurs sont en situation de concurrence dite « parfaite », c’est-à-dire avec un très grand nombre de concurrents qui produisent exactement le même bien, au même coût et avec un très grand nombre de consommateurs qui peuvent facilement changer de fournisseurs, la demande qui s’adresse à chacun d’eux est parfaitement élastique. Si le producteur fixe son prix au-dessus de celui de ses concurrents, aucun client ne vient le voir. S’il choisit un prix en dessous, la demande qui s’adresse à lui devient très grande. La courbe de la demande qui s’adresse à lui est ainsi une droite horizontale au niveau du prix de marché (figure 15). On dit alors que le producteur est « preneur de prix », car il n’a aucun intérêt à proposer un prix différent du prix du marché : s’il est au-dessus, il n’a aucun client, s’il est en-dessous il ne maximise pas son bénéfice (il aura certes beaucoup de clients, mais il peut proposer un prix un petit peu plus élevé sans perdre de clients ‒ il peut ainsi augmenter son prix jusqu’à être au niveau du prix de marché).

Figure 15 : Demande qui s'adresse au producteur en situation de concurrence parfaite

  • Le deuxième cas limite est lorsque le produit vendu est essentiel aux consommateurs et qu’il n’existe pas de substitut (par exemple, de l’eau potable). Alors, au niveau individuel comme au niveau collectif, la demande sera parfaitement inélastique : peu importe le prix, les consommateurs achèteront toujours la même quantité (figure 16).

Figure 16 : Demande collective lorsque le bien est essentiel

  • Pour le producteur, la pente de la courbe de coûts dépend de l’évolution des coûts lorsque la quantité augmente. Le coût marginal, c’est-à-dire le coût de la dernière unité produite, peut ainsi être supérieur, égal ou inférieur au coût de l’unité produite précédemment. Ainsi la courbe de coûts est constante lorsque le coût marginal est constant (figure 17), elle est décroissante lorsque le coût marginal est décroissant (figure 18) et elle est croissante lorsque le coût marginal est croissant (figure 19).

Figure 17 : Courbe de coûts constante

Figure 18 : Courbe de coûts décroissante

Figure 19 : Courbe de coûts croissante

  • La quantité produite par le producteur est fixée soit par la demande qu’il perçoit, soit par les investissements qu’il est capable de faire. En effet, il est possible que les clients intéressés ne puissent pas tous être fournis si le producteur est dans l’incapacité de financer une augmentation de sa production. Par exemple, si l’achat de nouvelles machines nécessite de s’endetter, il est possible que les taux d’intérêt soient trop élevés par rapport au bénéfice attendu[7].
  • Mais il existe un troisième cas de figure limitant la quantité produite par le producteur. Dans le cas où le coût marginal est croissant et où le producteur est en situation de concurrence « parfaite », le producteur, s’il n’a pas de souci de financement, va fixer sa quantité produite de manière à égaliser le coût marginal et le prix de marché. En effet, cette quantité lui permet de maximiser son bénéfice. S’il produit une unité supplémentaire, le coût marginal dépassera le prix de marché et il perdra donc de l’argent à la vente de cette unité. Dans l’exemple figure 20 le producteur a ainsi produit une unité de trop et son bénéfice n’est pas maximisé car une perte apparaît, le coût de production dépassant le prix encaissé (recette) pour cette dernière unité[8].

Figure 20 : Courbe de coûts croissante en concurrence « parfaite »

  • Lorsque le producteur vend son bien à un prix supérieur à ses coûts de production (salaires et consommations intermédiaires), il réalise un surplus, appelé bénéfice ou profit[9]. On appelle « surplus du producteur »[10], ou profit total, l’ensemble des surplus réalisés par les producteurs sur le marché. Il est représenté graphiquement par l’aire sous le prix moyen et au-dessus de la courbe des coûts moyens (figure 21).

Figure 21 : Le surplus du producteur (ou profit)

  • Certains consommateurs réalisent eux aussi un « surplus », car le prix du marché est inférieur à ce qu’ils étaient prêts à payer pour acheter le produit. On appelle « surplus du consommateur » l’ensemble des gains à l’échange réalisés par les consommateurs qui étaient prêts à payer le bien plus cher que son prix sur le marché[11]. Il est représenté graphiquement par l’aire comprise entre la courbe de demande et le prix du marché (figure 22).

Figure 22 : Le surplus du consommateur

  • À chaque fois qu’il y a un échange sur le marché, il y a ainsi un gain à l’échange pour le producteur et pour le consommateur : le premier augmente son profit, le deuxième a un surplus. La somme des surplus est donc maximisée lorsqu’il y a le plus d’échanges possibles sur le marché.
  • Pour maximiser les échanges, il faut faire baisser les prix ou augmenter les revenus des consommateurs, car c’est la demande qui fixe les quantités échangées. Pour baisser les prix, il y a deux solutions possibles. Soit il faut des services publics : en effet, ceux-ci produisent sans chercher à faire du profit, et le prix est ainsi plus faible. Les quantités échangées sont alors plus importantes et le surplus est entièrement capté par les consommateurs. Dans l’exemple figure 23, le prix passe ainsi à 4 euros (au lieu de 7 euros), et la quantité échangée passe à 1200 biens (au lieu de 600 biens, comme présenté la figure 7).

Figure 23 : Maximiser les surplus grâce aux services publics

  • La deuxième solution pour faire baisser les prix est d’augmenter la concurrence entre les producteurs dans l’espoir qu’ils se livrent à une « guerre des prix », chaque producteur baissant son prix à la suite de ses concurrents. Ceci inciterait les producteurs à diminuer leurs profits mais aussi à produire de manière plus efficace pour sauvegarder quand même un profit appréciable. C’est pour cela que la concurrence est généralement perçue comme efficace : la guerre des prix force les producteurs à rechercher le progrès technique[12]. Dans l’exemple figure 24, pour préserver leurs profits malgré la guerre des prix, les producteurs font ainsi baisser le coût moyen de 4 à 3 euros. Le surplus total est alors partagé entre les consommateurs et les producteurs.

Figure 24 : Maximiser les surplus grâce à la concurrence

Le cas du monopole, dans le chapitre « Comment les marchés imparfaitement concurrentiels fonctionnent-ils ?  », n’est pas tellement différent du cas du producteur étudié figure 6 (qui est en situation de concurrence monopolistique). Mais la demande qu’il perçoit est égale à la demande collective, c’est-à-dire la demande totale sur le marché. Il ajuste ainsi son prix en tenant compte de la diminution de la demande liée à la présence ou à l’absence de substituts (figure 25).

Figure 25 : Équilibre du monopole

  • On peut expliciter dans ce chapitre une méthode permettant de déterminer l’équilibre optimal du producteur (la quantité pour laquelle il obtient le plus de profit), qu’il soit en monopole ou en concurrence monopolistique, en introduisant la notion de recette marginale. La recette marginale est la recette supplémentaire induite par la vente d’une unité supplémentaire. Si la demande est bien décroissante par rapport au prix, la recette marginale diminue lorsque les ventes augmentent, le producteur étant obligé de baisser son prix pour attirer de nouveaux clients. On peut alors représenter l’évolution de la recette marginale par une droite décroissante (cf. figure 26). Lorsque la droite de recette marginale croise la droite de coût marginal, le producteur peut arrêter de diminuer son prix : une vente supplémentaire lui fera perdre de l’argent. Il a ainsi trouvé le prix qui maximise son profit.

Figure 26 : Recette marginale en cas de monopole

  • La demande que le producteur perçoit en situation de monopole est moins élastique qu’en situation de concurrence monopolistique, car lorsqu’il augmente son prix il n’y a aucun client qui puisse aller se fournir chez un concurrent moins cher. Il n’y a pas de « guerre des prix » possible, et donc pas lieu d’optimiser les coûts de production. Les coûts figure 25 sont ainsi plus élevés que les coûts en situation de concurrence figure 24 (et les quantités échangées sont plus faibles, donc le surplus total est plus faible). C’est pour cela que le monopole est généralement considéré comme moins efficace que la situation de concurrence.
  • Cependant ce raisonnement ne vaut que si les coûts sont constants ou croissants lorsque la production augmente. Si les coûts sont décroissants, en raison d’économies d’échelle (provenant par exemple de coûts fixes importants), les monopoles ou les oligopoles paraissent plus efficaces en termes de coûts qu’une situation avec un nombre élevé de producteurs.
  • Au cas où le monopole produit un bien essentiel qui n’a pas de substitut (cas présenté figure 16), il peut fixer un prix très élevé afin de gagner un profit très important. Dans ce cas là, un problème moral se pose, et la solution est soit d’essayer de contrôler le prix, soit de faire produire le bien par une administration publique (la fourniture du produit devient un service public).

Le programme est ainsi quasiment respecté, seul l’objectif « comprendre comment la confrontation des courbes d’offre et de demande détermine l’équilibre sur un marché de type concurrentiel où les agents sont preneurs de prix » n’étant que partiellement observé.

2.3 Conclusion

Cette proposition d’alternative et de refonte des objectifs de connaissances permet ainsi de respecter en grande partie le programme, tout en fournissant aux élèves une modélisation plus proche de la réalité des marchés que celle affirmant que les producteurs, en général (ou du moins dans la situation que l’on présente au départ aux élèves), sont preneurs de prix et ont des coûts marginaux croissants. Cette proposition permet ainsi aux professeurs de SES qui sont critiques envers la modélisation néoclassique d’adopter une autre option que l’« exit » (ne pas présenter les hypothèses contestables aux élèves, ou passer très rapidement dessus), la « voice » (dire aux élèves que ces hypothèses sont contestables, au risque de troubler leur apprentissage) ou la « loyalty » (présenter les hypothèses sans les contester car cela servira aux élèves pour le supérieur[13]).

Du point de vue scientifique, le cadre adopté est celui de l’équilibre partiel en situation de concurrence monopolistique. C’est une approximation de la réalité, comme tout modèle, et ce n’est pas une théorie rigoureuse des prix. Pour expliquer de manière plus rigoureuse les prix, il faudrait aborder la théorie des prix de production des classiques (et les développements opérés par Marx ou Sraffa), ou la théorie de l’équilibre général des néoclassiques. Pour des élèves de lycée, ce manque de rigueur nous paraît toutefois très acceptable. Et, de plus, cette manière de présenter les choses laisse ouverte la voie à ces deux prolongements possibles, ce que ne permet pas le programme actuel.

Notes

[1] « Ces deux points à propos desquels la théorie de la concurrence diffère radicalement de l’état réel des choses le plus général sont : premièrement, l’idée que les producteurs concurrents ne peuvent pas délibérément influencer les prix de marché, et qu’il doivent donc les considérer comme constants peu importe la quantité de biens qu’ils peuvent individuellement offrir sur le marché ; deuxièmement, l’idée que tous les producteurs concurrents produisent forcément dans des conditions normales de coûts individuels croissants » (notre traduction).

[2] Voir aussi Guerrien (2015) sur la critique du modèle. Nous en profitons pour remercier les relecteurs et relectrices de cet article, qui nous ont permis de l’améliorer significativement.

[3] Du fait des coûts fixes, les coûts sont généralement décroissants quand la quantité augmente. C’est ce qui ressort des enquêtes auprès des producteurs (Eiteman et Guthrie, 1952 ; Blinder et al., 1998), même s’il est possible que seuls les coûts moyens soient décroissants, et non les coûts marginaux (les entrepreneurs répondant aux enquêtes pouvant se tromper sur la différence entre les deux termes, cf. Blinder et al, 1998, p. 77).

[4] Nous mettons les courbes de demande et d’offre non réalisées en pointillé parce qu’il s’agit de courbes ou de morceaux de courbes construites sur du contrefactuel : on se demande ce qui se serait passé si les prix avaient été différents ou si la demande avait été plus élevée. Dans le cas qui nous concerne, à la fin de la journée ce qui peut être mesuré sont les ventes réalisées, les prix des unités vendues et leurs coûts de production. On peut faire des enquêtes pour demander aux producteurs et aux consommateurs ce qu’ils auraient fait si les choses avaient été différentes mais leurs réponses ne sont qu’indicatives, elles n’apportent pas de certitudes sur leurs actions réelles si les choses avaient été effectivement différentes. Par ailleurs concernant la demande, sa forme peut parfois être mise en doute – elle est donc doublement hypothétique. Il arrive en effet que lorsque les prix augmentent la demande pour un produit augmente aussi. On parle alors de biens de Giffen, mais on peut aussi évoquer le cas du marché du travail : l’augmentation des salaires (surtout des bas salaires) peut engendrer une hausse de la consommation susceptible d’entrainer une hausse de la demande de travailleurs.

[5] Avec ces notions de bénéfice, salaire et consommations intermédiaires (on pourrait également présenter la valeur ajoutée), on peut faire le lien avec le chapitre de seconde « Comment produit-on des richesses et comment les mesure-t-on ? ».

[6] Notons que les études empiriques n’observent pas forcément cet ajustement de la part des producteurs, qui se contentent souvent d’avoir suffisamment de profit pour que l’entreprise soit rentable, sans chercher à le maximiser en jouant finement sur les prix (probablement parce que l’effet d’un changement de prix sur la demande est incertain, sans compter qu’il peut y avoir des réactions de la part des producteurs concurrents). Voir par exemple Levitt, 2016. Enfin, la notion de recette marginale, permettant de calculer l’équilibre du producteur, sera introduite en première.

[7] Avec cette notion d’investissement, d’endettement et de taux d’intérêt, on peut ainsi faire le lien avec le chapitre « Comment les agents économiques se financent-ils ? ».

[8] On peut remarquer que dans cette situation de coûts croissants et de concurrence « parfaite », si les producteurs n’ont pas de contrainte de financement, alors il existe un prix permettant d’égaliser l’offre collective et la demande collective. On trouve ce prix en regardant à quel niveau de prix la courbe d’offre collective croise la courbe de demande collective. Mais quel mécanisme assurerait que ce prix soit bien celui fixé collectivement par tous les producteurs ? On peut exposer aux élèves ce problème qui a passionné les théoriciens. On peut aussi, selon nous, s’en passer.

[9] On ne distinguera pas dans ce texte les notions de profits et de bénéfice.

[10] On considère souvent l’ensemble des consommateurs lorsqu’on utilise la notion « surplus du consommateur », tout comme on considère souvent l’ensemble des producteurs lorsqu’on utilise la notion « surplus du producteur ».

[11] On peut considérer ces gains à l’échange pour les consommateurs comme des aubaines, des gains financiers inattendus procurés par le marché aux consommateurs les plus motivés par cet achat, souvent les plus aisés dans les faits.

[12] Ainsi, ils vont développer des innovations, rechercher l’élimination des coûts de production inutiles ou, malheureusement, reporter la contrainte concurrentielle sur le travail (intensification, baisse des salaires) ou sur l’environnement (extraction de ressources naturelles gratuites, pollutions non réparées ni compensées).

[13] Les licences d’économie dans le supérieur sont très peu pluralistes et font une part belle à l’enseignement de la théorie néoclassique du marché (Jatteau et al., 2023).

Bibliographie

Blinder A.S., Canetti E., Lebow D., Rudd J., 1998, Asking about prices: a new approach to understanding price stickiness, New York, Russell Sage Foundation.

Eiteman W., Guthrie G., 1952, « The shape of the average cost curve », American economic review, vol. 42, n°5, p. 832-838.

Guerrien B., 2015, « Qu’est-ce que la concurrence parfaite ? », article du blog Économie critique. En ligne : http://bernardguerrien.com/wp-content/uploads/2017/07/concurrence-parfaite.pdf

Jatteau A., Jallais S., Jany-Catrice F. (dir.), 2023, « L’insoutenable manque de pluralisme dans l’enseignement de l’économie à l’université. Enquête quantitative sur les licences d’économie-gestion en France », Afep. En ligne : https://assoeconomiepolitique.org/insoutenable-manque-pluralisme/

Levitt S. D., 2016, « Bagels and Donuts for Sale: A Case Study in Profit Maximisation », Research in Economics, vol. 70, p. 518-535.

Sraffa P., 1926, « The laws of returns under competitive conditions », The economic journal, vol. 36, n°144, p. 535-550.