Ce livre de Corine Eyraud, professeure de sociologie à l’université d’Aix-Marseille, est une réédition de son précèdent ouvrage paru en 2008 dont certaines données seulement ont été réactualisées.
Stéphanie Lottier
Agrégée de sciences économiques et sociales
L’ouvrage se donne pour objectifs de familiariser, en premier chef les étudiants en sciences humaines, avec le vocabulaire de base mais aussi avec les calculs et la lecture d’indicateurs statistiques et plus largement de développer une attention rigoureuse et critique lors de l’écoute des médias et la lecture d’articles utilisant des données chiffrées. L’auteure adopte une démarche pédagogique progressive afin de diriger le lecteur vers ces buts en proposant, dans chacun des chapitres, des exercices dont les corrections sont fournies.
Le premier chapitre présente le vocabulaire et les opérations de base de la statistique ainsi que les erreurs à ne pas commettre à travers l’étude des données de populations bachelière et étudiante. Le lecteur est guidé pas à pas dans le maniement des calculs et de leur lecture qu’il s’agisse de proportions, de leurs comparaisons, de variations absolues, relatives et successives. L’auteure ponctue la démarche de rappels historiques (sur l’origine de la statistique en France notamment) et de précisions notionnelles (échantillon, cohorte, sexe ou genre par exemple), de sites internet de référence (Insee, Ined, etc.) mais également d’erreurs commises dans les médias quant à l’interprétation d’indicateurs statistiques sur le sujet de l’école.
Le deuxième chapitre se poursuit sur l’étude de la population bachelière avec pour objectif la maîtrise de la lecture et de l’interprétation de tableaux statistiques à une seule entrée et à double entrée. Elle initie à des automatismes à adopter face à ceux-ci par des exercices et de petites remarques afin de susciter l’intérêt et l’appropriation des contenus par le lecteur. On notera un intéressant bref historique de la nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelles et des apports de la dernière version (PCS 2020) ainsi que les explications sociologiques désormais classiques des inégalités scolaires (celles de P. Bourdieu et J.C. Passeron, 1964, et de Boudon, 1973) présentées de façon claire et étayées de références bibliographiques à consulter pour aller plus loin.
Corine Eyraud poursuit cette première partie consacrée à l’école dans un troisième chapitre questionnant la démocratisation scolaire d’un point de vue sémantique et à partir des statistiques. Après des précisons historiques et conceptuelles ainsi que des conseils bibliographiques sur les travaux sur le sujet (les travaux de Cédric Hugrée et Tristan Poullaouec pour les plus récents, cf. Hugrée et Poullaouec, 2022), le lecteur est amené à adopter une lecture rigoureuse d’indicateurs de réussite produits par une université et par le Ministère de l’Enseignement supérieur. Comment expliquer un taux de réussite plus élevé dans une filière universitaire ? Les comparaisons internationales des dépenses d’éducation réalisées par l’OCDE ont-elles des limites ? Ce faisant sont pointés différents problèmes de comparaison d’indicateurs établis différemment dans des cadres dissemblables et avec des objectifs distincts or, « les statistiques n’ont de sens qu’en les comparant ». Ce chapitre met aussi en exergue ce que les indicateurs révèlent et ce qu’ils occultent en prenant, entre autres, l’exemple des classements des meilleurs établissements scolaires.
La deuxième partie de l’ouvrage est orientée davantage vers l’analyse et la réflexion critique des statistiques produites par différentes institutions.
Après avoir fait un rappel des éléments à prendre en considération lors du recours aux statistiques (population de référence, dates et périodes, etc.), le chapitre 4 se concentre sur les indicateurs de mesure de la croissance, du chômage et de la délinquance (les enquêtes de délinquance auto-révélée ne sont pas mentionnées) pointant leurs contours mais aussi leurs limites car « pour utiliser les chiffres à bon escient il faut connaître leur processus de construction » ce qui « permet de savoir ce que les statistiques peuvent nous dire, et apporte des connaissances sur le champ ou le secteur concerné. »
Le dernier chapitre se veut un guide pour se pencher soi-même sur la connaissance d’un phénomène social. L’auteure l’entame en rappelant les Règles de la méthode sociologique énoncés par Emile Durkheim en 1894 liées aux prénotions et à l’explication de faits sociaux. Elle poursuit en insistant sur la nécessité de définir le phénomène à étudier prenant différents exemples depuis les études classiques d’E. Durkheim sur les causes du taux social de suicide (1897) et de Marcel Mauss sur la prière (1902-1903) aux plus récentes enquêtes sur la religiosité dans le sillage des travaux de Charles Glock (1961) pointant un même schéma de pensée « concept-dimensions-indicateurs » servant de grille d’analyse. Elle lance ensuite le lecteur sur une analyse critique d’articles provenant de quotidiens, revue et site internet en guise d’exercice conclusif.
Cet ouvrage de 244 pages, s’il s’adresse, en premier lieu, aux étudiants en sciences sociales, en école de commerce et de journalisme et aux candidats aux concours de l’enseignement, pourrait s’avérer utile aux enseignants de sciences économiques et sociales (SES) qui pourront le parcourir par entrées et qui y trouveront des éléments exploitables en classe sur les différents points du programme aussi bien quant à la maîtrise des savoir-faire quantitatifs (calculs de proportions, d’indicateurs de tendance centrale et de dispersion, lecture de tableaux à une entrée ou à double entrée, mise en évidence de relations de corrélation, de liens de causalité, etc.) que sur des points de cours particuliers comme, par exemple, et de manière non exhaustive, la définition et la mesure du chômage ou les difficultés de mesure de la délinquance.
Bibliographie
Boudon R., 1973, L’inégalité des chances. La mobilité sociale dans les sociétés industrielles, Paris, Colin.
Bourdieu P., Passeron J.-C., 1964, Les Héritiers. Les étudiants et la culture, Paris, Les éditions de minuit.
Bourdieu P., Passeron J.-C., 1970, La Reproduction. Eléments pour une théorie du système d’enseignement, Paris, Les éditions de minuit.
Durkheim E., 1894, « Les règles de la méthode sociologique », Revue philosophique de la France et de l’étranger, vol. 37, p. 465-498, vol. 38., p. 14-39.
Durkheim E., 1897, Le Suicide, Paris, Félix Alcan.
Glock C., 1961, « Y a-t-il un réveil religieux aux Etats-Unis ? », Archives de sociologie des religions, vol. 12, p. 35-52.
Hugrée C., Poullaouec T., 2022, L’université qui vient. Un nouveau régime de sélection scolaire, Paris, Raisons d’agir.
Mauss, M., 1902-1903, « Esquisse d’une théorie générale de la magie », L’année sociologique, vol. 7, p. 1-146.