Pour les différents spécialistes et acteurs de l’éducation, il est d’usage de considérer que les politiques de démocratisation scolaire menées en France depuis les années 1980, ont surtout conduit à la massification de l’enseignement et non à sa réelle démocratisation. Autrement dit la croissance quantitative des effectifs scolaires, dans l’enseignement secondaire et supérieur, n’aurait pas réellement permis de mettre fin aux inégalités scolaires et encore moins de faire progresser l’égalité des chances. Les politiques éducatives visant à démocratiser l’accès à l’enseignement auraient à l’inverse généré de nombreux effets pervers : elles sont alors accusées d’avoir provoqué à la fois la panne de l’ascenseur social, la dévalorisation des diplômes, la baisse du niveau des élèves et l’amplification des inégalités scolaires. Ces constats sont paradoxalement partagés à la fois par les conservateurs, qui imputent le déclin de l’école républicaine aux multiples réformes d’inspiration égalitariste mises en œuvre par les différents gouvernements depuis les années 80, et par les réformateurs, qui estiment, à l’inverse, que l’école française est encore trop élitiste. Au-delà de leurs différences, les uns et les autres se rejoignent pour dresser un tableau souvent accablant de l’école en France. Proposer un bilan statistique sur la question des inégalités scolaires peut alors permettre d’y voir un peu plus clair dans ce débat.
Jean-Yves Mas-Baglione
Professeur de SES à Montreuil (93) et docteur en sciences de l’éducation
Avant de commencer, il convient toutefois de revenir sur le concept d’égalité des chances. L’égalité des chances renvoie à une situation dans laquelle la réussite scolaire est indépendante de l’origine sociale des élèves. La réussite scolaire, sanctionnée par un diplôme de haut niveau, donne accès à des emplois bien rémunérés et donc à un niveau de vie qui permet, par la suite, aux individus d’appartenir aux catégories sociales favorisées. Pour que l’égalité des chances soit respectée, il faut alors que, quel que soit le milieu social dans lequel évoluent les individus, ils possèdent tous les mêmes chances d’occuper un statut particulier. Un individu né au sein d’un groupe défavorisé doit donc avoir les mêmes chances qu’un individu issu d’un groupe favorisé, d’appartenir à un groupe favorisé. Toutefois, cela implique aussi qu’un individu né dans un groupe favorisé ait les mêmes chances qu’un individu défavorisé d’appartenir à un groupe défavorisé. Pour que l’égalité des chances soit atteinte, si la structure de la population reste constante, il faut donc que certaines personnes soient déclassées.
De plus, la réalisation stricte de l’égalité des chances peut être tout à fait compatible avec une école ou une société élitiste. Si par exemple, une minorité de 20 % seulement d’une génération obtient le bac et a accès à l’enseignement supérieur, mais que cette minorité reflète la composition sociale d’une génération (s’il y a par exemple 20 % d’enfants d’ouvrier dans une génération, il doit y avoir 20 % d’enfants d’ouvriers au sein de cette minorité), on peut alors considérer que dans cette société l’enseignement est élitiste mais que l’égalité des chances est respectée. Pour que l’enseignement se démocratise, il faut donc à la fois que le nombre de personnes ayant accès à l’enseignement supérieur augmente (on parle alors de « démocratisation quantitative ») et que la composition sociale de chaque filière se rapproche de la composition sociale des jeunes générations actuelles (la tranche des 18-25 ans). En effet, selon Pierre Merle, la stricte augmentation des effectifs scolaires ne saurait être assimilée à la véritable démocratisation de l’enseignement (Merle, 2015). Comme le rappelle François Dubet (2009, 2010), et comme le proposait le Plan Langevin-Wallon, l’égalité méritocratique des chances est une conception insuffisante de la justice scolaire. Un système scolaire juste doit avoir pour objectif de réduire les inégalités scolaires et non de réaliser la seule égalité des chances.
Enfin, mesurer des inégalités est toujours compliqué puisque l’évolution des inégalités dépend de l’évolution respective de l’échelon supérieur (les plus riches, les plus diplômés, les premiers du classement) et de l’échelon inférieur (les plus pauvres, les moins diplômés, les derniers du classement). Ainsi les inégalités peuvent augmenter quand la situation du groupe le plus favorisé s’améliore et que celle du groupe le plus défavorisé se détériore (les plus riches s’enrichissent et les plus pauvres s’appauvrissent) mais elles augmentent aussi quand la situation du groupe le plus favorisé progresse proportionnellement plus vite que celle du groupe le plus défavorisé (par exemple quand le revenu des riches augmente plus vite que celui des pauvres). Dans la deuxième situation, les inégalités augmentent puisque l’écart entre les plus favorisés et les plus défavorisés s’accroit, mais la situation des plus défavorisés est plus favorable que dans la première situation, puisque leur situation objective s’améliore malgré tout.
À long terme les inégalités d’accès à certaines filières diminuent
Pour analyser l’évolution des inégalités scolaires, il convient de souligner dans un premier temps l’extraordinaire expansion récente des effectifs scolaires et de la proportion de diplômés dans une génération. La proportion de bacheliers dans une génération est passée de 20% en 1970, à 60% en 2010 pour atteindre 80% actuellement. Dans le même temps, le taux de réussite au bac a aussi augmenté passant de 75 % dans les années 90 à plus de 90%. Cette croissance du nombre de bacheliers a aussi entrainé l’augmentation importante du nombre d’étudiants qui passe de 2,1 millions en 2000 à 2,9 millions en 2020 (MESR-DGESIP/DGRI-SIES, 2024, chapitre 10).
En valeur relative, la proportion moyenne des jeunes ayant accès à l’enseignement supérieur est passée de 45 % en 2010 à 65 % d’une génération en 2021. Les taux de scolarisation entre 18 et 25 ans ont aussi considérablement augmenté en raison de l’augmentation de la durée moyenne de la scolarité. Cet accroissement a bénéficié indiscutablement aux enfants des classes populaires (ouvriers et employés) dont le taux d’accès au bac est passé de 52 % (panel d’enfants rentrés en 6ème en 1995) à 69 % (panel 2007), comme le souligne la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du Ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse :
« L’augmentation de la part de bacheliers et la diminution des sorties sans qualification sont particulièrement marquées parmi les enfants d’ouvriers non qualifiés et d’employés de service. La part d’élèves originaires de ces groupes sociaux qui deviennent bacheliers progresse respectivement de 21 points et de 25 points ; près des deux tiers de ces jeunes terminent aujourd’hui leur scolarité secondaire avec un tel diplôme alors qu’ils n’étaient que quatre sur dix à partager cette situation dans le panel 1995. Parmi ces élèves, la progression de la part de bacheliers s’observe tant au niveau du baccalauréat professionnel qu’à celui du baccalauréat général et technologique. Alors que dans le panel 1995, seulement un quart des jeunes originaires de ces milieux sociaux quittaient l’enseignement secondaire avec ce dernier diplôme, un tiers d’entre d’eux connaissent cette situation douze ans après. Le risque de sortie sans diplôme pour ces élèves a diminué de près de moitié en douze ans. Du fait de ces évolutions, les inégalités sociales d’accès au baccalauréat se sont contractées : elles passent de 50 à 32 points entre les enfants d’enseignants et ceux d’ouvriers non qualifiés » (Barhoumi et Caille, 2020).
Dans le même temps la proportion d’enfants d’ouvriers et d’employés à avoir accès à l’enseignement supérieur est passée de 33 % à 52 %. Les enfants des classes populaires ont donc bien plus souvent accès au baccalauréat et à l’enseignement supérieur que par le passé. Cet accroissement peut donc être considéré comme un progrès à mettre au crédit du système scolaire français, même s’il est rarement souligné.
Si on mesure les inégalités scolaires en fonction de l’accès aux diplômes, et même si l’accès aux différents diplômes reste fortement dépendant de l’origine sociale des élèves, il est inexact d’affirmer que l’école ne favorise pas ou plus l’égalité des chances ou qu’elle amplifie les inégalités scolaires, puisque les jeunes issus des milieux populaires n’ont jamais autant eu accès à l’enseignement supérieur (à l’exception notable des grandes écoles, comme le souligne l’Observatoire des inégalités).
Démocratisation uniforme et démocratisation ségrégative
En revanche, cet accroissement absolu du nombre de lycéens et d’étudiants issus des classes populaires n’a que peu réduit les écarts relatifs de réussite entre ces derniers et les enfants de cadres et de professions intermédiaires, puisque dans le même temps l’accès de ces étudiants au bac et à l’enseignement supérieur a lui aussi augmenté (MESR-DGESIP/DGRI-SIES, 2023, chapitre 23).
Il y donc bien augmentation absolue du niveau de formation des enfants des classes populaires mais une quasi-stagnation des écarts relatifs de réussite entre ces derniers et les enfants des classes moyennes et supérieures. La démocratisation scolaire est alors qualifiée « d’uniforme » (Merle, 2000).
Mais lorsqu’ils ont accès à l’enseignement secondaire les enfants d’ouvriers et d’employés sont sur-représentés dans les filières technologiques et professionnelles du secondaire, alors que les enfants de cadres sont sur-représentés dans les filières générales. De même dans l’enseignement supérieur, les premiers vont surtout dans les filières courtes (comme les sections de technicien supérieur – STS -, préparant au Brevet de technicien supérieur – BTS) quand les seconds se dirigent davantage vers les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) et l’université (MESR-DGESIP/DGRI-SIES, 2024, chapitre 11). La démocratisation de l’enseignement est donc surtout « ségrégative » (Merle, 2009).
Comme on peut le constater, si « les inégalités d’accès » aux diplômes et aux filières du supérieur ont diminué, cette diminution s’est faite par le bas, c’est à dire grâce à la création de filières dans lesquelles l’enseignement est moins axé sur les disciplines académiques et plus sur des enseignements pratiques ou professionnels. Or la participation de ces filières à la démocratisation, même relative, de l’enseignement supérieur est rarement évoquée. S’il est vrai que leurs débouchés ne permettent pas forcément d’occuper ensuite des emplois très qualifiés, ces filières favorisent malgré toute la mobilité ascendante des enfants des classes populaires (Orange, 2013, cf. cet interview paru dans Le Monde). Même avec un bac technologique ou professionnel, certains élèves poursuivent leurs études et obtiennent des BUT ou des BTS ce qui leur permet ensuite pour les plus brillants d’entre eux, de faire des écoles de commerces ou de continuer en master. On oublie en effet souvent de rappeler que l’ascenseur social peut aussi s’élever sur plusieurs générations. Il ne passe pas toujours directement du rez-de-chaussée au sommet, mais il s’arrête souvent aux étages intermédiaires.
Démocratisation quantitative et massification
Pour que l’école se « démocratise » réellement, sans se massifier, il aurait donc fallu soit que le nombre de places dans l’enseignement stagne, et que le niveau scolaire des enfants des classes populaires rattrape et même dépasse le niveau des enfants des classes supérieures, pour que les premiers prennent les places des seconds, soit que le nombre d’étudiants issus des classes supérieures dans l’enseignement supérieur et secondaire stagne, pendant que le nombre d’étudiants issus des classes populaires progresse de façon à rattraper celui des enfants des classes supérieures. Il aurait alors fallu, par une politique de quotas et de discrimination positive, réserver des places dans les différentes formations de l’enseignement supérieur aux enfants des classes populaires. De telles mesures semblent toutefois difficilement envisageables dans une société dans laquelle l’orientation est décentralisée et dépend des résultats scolaires et des aspirations professionnelles des individus. Autrement dit, on ne voit pas bien comment l’enseignement aurait pu réellement se démocratiser sans se massifier. Il aurait fallu pour cela que l’école réussisse à corriger les inégalités culturelles initiales, ce qu’elle n’arrive pas en effet à faire. C’est donc avant tout à ce constat d’une augmentation massive des effectifs lycéens et étudiants et à la persistance des inégalités scolaires relatives dans l’accès aux différentes filières de formation que renvoie le terme de « massification ».
Ce terme de massification pose toutefois un problème en raison des représentations négatives qu’il véhicule, puisqu’il sous-entend que lorsque « les masses » (et donc essentiellement les classes populaires) ont accès à la culture, à la consommation, au tourisme ou à l’enseignement, ces biens ou ces ressources perdent de leur valeur de distinction. Le fait qu’une pratique se démocratise impliquerait de facto sa dévaluation sur le marché des biens symboliques. Ainsi, le terme de « massification scolaire » renvoie à l’image d’une masse d’étudiants d’un niveau culturel assez faible, à la fois utilitaristes et anomiques, poursuivants leurs études dans l’unique but d’obtenir un diplôme afin d’occuper un emploi futur, mais sans vraiment s’investir dans leurs études ni s’intéresser à ce qu’ils étudient. Alors que dans l’université « classique » les étudiants auraient été animés d’un rapport « authentique » au savoir, dans l’université de masse, les étudiants ne seraient donc pas animés d’un réel désir d’apprendre et de se cultiver. Ils ne considéreraient pas le savoir comme un bien intrinsèque, mais comme un bien instrumental leur permettant d’améliorer leur employabilité, conformément à la théorie du capital humain. Pire, les étudiants d’origine populaire s’orienteraient souvent par défaut à l’université mais, mal préparés et peu motivés, ils y échoueraient la plupart du temps, ce qui représenterait un gaspillage de ressources pour les universités et une perte de temps pour ces étudiants (citons par exemple cette tribune d’Oliver Beaud et François Vatin parue dans Le Monde). C’est, par ailleurs, en partie pour pallier à ce « gaspillage » que le dispositif ParcourSup a été mis en place par la loi d’orientation et de réussite des étudiants (ORE) en 2018. Remplacer le concept de massification scolaire par le terme « d’expansion scolaire » ou « d’explosion scolaire » (Cayouette-Remblière, 2024) permettrait alors d’éviter les représentations négatives associées au concept de « massification scolaire ».
L’école est-elle responsable de la « panne de l’ascenseur social » ?
On accuse aussi souvent la massification scolaire d’avoir surtout entrainé l’inflation des diplômes, ce que certains désignent aussi par le terme « d’inflation scolaire » (Duru-Bellat, 2006). Comme la monnaie dont la valeur réelle diminue lorsque son volume augmente plus vite que le niveau de la production de biens et de services, la valeur des diplômes aurait donc diminué notamment en raison de l’inflation évaluative et de la baisse des exigences académiques. L’augmentation du nombre de diplômés ne traduirait pas donc pas une amélioration « réelle » du niveau de compétence des jeunes générations, mais elle serait purement « nominale » ou « formelle ». L’école en décernant des diplômes sans valeur ne favoriserait donc plus l’ascenseur social. Cette antienne mérite elle aussi d’être déconstruite.
On oublie en effet que la valeur des diplômes est surtout déterminée par le type d’emplois auxquels ils donnent accès et donc par l’évolution du marché du travail ; la valeur des diplômes dépend donc de l’évolution des créations d’emplois qualifiés par les entreprises (ce qui correspond à la demande de travail). En effet, l’augmentation du nombre de diplômés sur le marché du travail (qui correspond à l’offre de travail qualifié) ne se traduit par une baisse de la valeur des diplômes que si, dans le même temps, la demande de travail stagne ou diminue. Si à l’inverse les entreprises créent des emplois en nombre suffisant pour absorber les nouveaux diplômés qui arrivent sur le marché du travail, et donc si la demande de travail qualifié augmente au même rythme que l’offre de travail qualifié, la valeur des diplômes ne diminue pas forcément.
À l’inverse, si la demande de travail qualifié est inférieure à l’offre de demande qualifié, la valeur des diplômes peut en effet diminuer. Dans ce cas la qualification des emplois occupés par les salariés ne correspond pas au niveau de qualification de ces derniers. Cette situation, que les économistes désignent par le terme de « sur-éducation », est considérée comme sous-optimale puisqu’elle est synonyme de gaspillage de compétences et peut être une source de frustration pour les salariés qui ont l’impression que leurs qualifications ne sont pas reconnues à leur juste valeur. Il est donc inexact d’accuser l’école de ne plus favoriser « l’ascenseur social » puisque le niveau de l’emploi (notamment qualifié) dépend principalement des employeurs. Autrement dit, comme l’avait déjà établi Raymond Boudon dans L’inégalités des Chances (1973), le système d’emploi et le système des diplômes étant indépendants, la démocratisation de l’enseignement peut n’avoir que peu d’impact sur la fluidité sociale. La corrélation entre la démocratisation de l’enseignement et la fluidité sociale semble en effet instable, puisque la fluidité sociale, comme le montre le graphique ci-dessous[1], augmente dans les années 60/90, lors de la première et seconde explosion scolaire, mais stagne depuis le milieu des années 90, alors que les effectifs de l’enseignement secondaire et supérieur connaissent une troisième phase de forte croissance dans les années 2000-2020 (Cayouette-Remblière, 2024).
Les inégalités d’acquis (ou de compétences)
Si on veut proposer un diagnostic sur l’évolution des inégalités scolaires, on ne peut toutefois s’en tenir à l’évolution des « inégalités d’accès », puisque l’évolution de ces dernières peut très bien être liée à une diminution des exigences académiques aux examens ou à des modes d’évaluation plus indulgents ; la progression du taux de réussite au bac par exemple n’est pas forcément le signe d’une amélioration « réelle » des compétences des élèves. Ces dernières sont alors mesurées par des tests standardisés que passent l’ensemble des élèves sur le territoire national à différents moments de leur scolarité. Or, si on aborde l’évolution des inégalités scolaires en prenant en compte, cette fois-ci, les inégalités d’acquis, le constat est en revanche sans appel. Ces inégalités restent corrélées de façon assez nette à l’origine sociale des élèves. Les écarts de compétence sont de plus assez constants quel que soit la discipline et le niveau de la classe :
- Selon L’état de l’école, 2023 publié par la DEPP (2023), à l’entrée en CP les scores des élèves issus de familles défavorisées sont de 236 en français et de 241 en maths, alors qu’ils sont de 272 et de 265 pour les familles favorisées ; à l’entrée en CM2, les score sont de 236 en français comme en maths pour les élèves défavorisés et de 275 et de 273 pour les élèves favorisés.
- Ces écarts se retrouvent en début de 6ème et de seconde. En 6ème les scores des élèves défavorisés (20 % de l’effectif) sont de 229 en français et 224 en maths, alors qu’ils sont de 285 en français comme en maths pour les élèves les plus favorisés (20 % de l’effectif).
- À l’entrée en seconde, le score est de 234 français et de 215 en maths pour les élèves défavorisés alors que ceux des élèves favorisés est de 287 et de 280 pour les élèves favorisés.
Ces résultats sont confirmés par les évaluations PISA qui montrent que la France est l’un des pays de l’OCDE dans lequel les inégalités d’acquis sont les plus fortes et les plus corrélées à l’origine sociale. Rappelons, de plus, que pour les résultats au test PISA le niveau moyen des élèves en France, comme dans l’ensemble des pays européens, a tendance à diminuer.
- En France, les élèves très favorisés ont un score moyen en culture mathématique de 534,5 points. Ce score est de 421,9 points pour les élèves très défavorisés. La France est l’un des pays de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), derrière la République tchèque, la Belgique, la Suisse, la Hongrie et la République slovaque, où la différence de résultats entre les élèves favorisés et les élèves défavorisés est la plus marquée (112,5 points d’écart de score en culture mathématique en France contre 93,5 pour la moyenne de l’OCDE). En 2012, cet écart était de 120,9 points pour la France et de 92 points en moyenne dans l’OCDE. L’évolution de cet écart sur dix ans n’est pas significative. L’écart de score associé en France à la variation d’une unité de l’indice de statut économique, social et culturel (SESC) est de 45,5 points (39,4 points en moyenne pour les pays de l’OCDE). Seuls quatre pays ont un écart plus important. Entre 2003 et 2012, il avait fortement augmenté pour la France (+ 14 points). Cet écart est en baisse en France depuis 2012 où il s’élevait à 57 points. La France est même le pays où il a le plus fortement baissé entre 2012 et 2022 (Bernigole et al., 2023).
Les « inégalités d’acquis » peuvent être alors en partie masquées par les progrès des « inégalités d’accès », comme on le voit lors des résultats du bac : si 90 % des lycéens décrochent le bac, les mentions restent liées au milieu social des bacheliers. Ces inégalités d’acquis expliquent aussi pourquoi, si les enfants des classes populaires sont de plus en plus nombreux à avoir accès à l’enseignement supérieur, leur proportion dans les filières universitaires décroit au niveau les plus élevés de la hiérarchie universitaire. Ce sont donc ces inégalités d’acquis que l’école n’arrive pas à réduire, ce qui n’implique pas forcément qu’elle en soit totalement responsable.
L’école est-elle responsable de la baisse du niveau des élèves ?
Les récentes publications de ces évaluations d’acquis provoquent à chaque fois de nombreux commentaires sur la crise et l’inefficacité du système scolaire français car il semble, en effet, aller de soi que si les performances scolaires des élèves français diminuent la responsabilité en incombe à l’école. On incrimine alors souvent les pratiques pédagogiques des enseignants jugées trop magistrales ou trop verticales, le manque de travail en équipe, l’obsession pour l’évaluation, etc. Pourtant la responsabilité de l’école dans ces évolutions est loin d’être évidente : en effet la récente diminution des résultats en mathématiques des élèves touchent pratiquement tous les pays européens et concernent aussi les performances des bons élèves.
Or, dans son fonctionnement général, malgré les réformes, le système scolaire français évolue assez peu sur le long terme. Le corps enseignant se renouvelle assez peu, les programmes restent (malgré certaines réformes) les mêmes, le nombre d’heures de cours des élèves ne change pas. On peut alors se demander si l’école est vraiment responsable de la baisse du niveau des élèves quand les changements qui l’affectent sont marginaux. Certains événements comme le COVID, le développement des pratiques numériques au détriment de la pratique de la lecture, la détérioration du climat scolaire dans certains établissements ou la progression des difficultés sociales de certaines familles peuvent affecter les performances des élèves, sans pour autant que l’école en soit la principale responsable. Il ne s’agit pas de dédouaner l’école de ses responsabilités mais de montrer qu’elle n’est pas forcément responsable de toute la « misère du monde ». Bernard Lahire dans sa vaste enquête sur les inégalités scolaires a montré à quel point les inégalités culturelles sont importantes dès l’entrée en maternelle (Lahire, 2019). Comparer un système scolaire relativement stable qui évolue dans un contexte social qui, lui, évolue sans cesse, c’est juste rappeler que les générations d’élèves qui se succèdent ne sont pas forcément exactement les mêmes. Ainsi, accuser le système scolaire français de la baisse des résultats des élèves est discutable puisque celle-ci peut aussi être due à des mutations culturelles ou à des facteurs exogènes qui affectent les performances des élèves. En revanche, l’école doit continuer à se mobiliser pour lutter contre les inégalités scolaires, mais pour cela faut-il encore qu’on lui en donne les moyens (Souidi, 2024 ; voir également cet article d’Alternatives économiques) et que les pouvoirs publics prennent des mesures pour réduire la ségrégation scolaire (Dubet et Vallaud-Belkacem, 2024).
De l’impact du « discours de la déploration »
Comme nous venons de le voir, dresser un bilan définitif des inégalités scolaires et de la responsabilité de l’école dans ce bilan ne va donc pas de soi, puisque ce bilan peut varier selon qu’il repose sur l’évolution des « inégalités d’accès » aux diplômes ou sur celles des « acquis » des élèves, ou qu’on analyse les inégalités de façon dynamique ou statique. Il n’existe de toute façon pas d’indicateur parfaitement satisfaisant qui permettrait de trancher définitivement la question de savoir si les inégalités scolaires augmentent ou diminuent (pour aller plus loin, voir Terrail, 2002 ; Duru-Bellat, 2002 ; Rochex, 2013 ; Felouzis, 2014).
Le bilan que nous avons essayé de dresser ne vise toutefois pas à nier la persistance des inégalités scolaires, ni à dédouaner l’école de ses responsabilités dans la lutte contre ces dernières. Mais il a, à l’inverse, comme objectif de rappeler que ce bilan n’est pas aussi négatif que ce qu’un certain « discours de la déploration » le laisse entendre. On peut en effet s’interroger sur l’impact de certains discours radicaux, y compris lorsqu’ils se veulent progressistes, qui à force d’expliquer que tout va mal dans notre système scolaire, accrédite l’idée que la démocratisation scolaire est un échec (cf. par exemple cette tribune parue dans Le Monde). Déterminer le périmètre des responsabilités de l’école, c’est aussi reconnaître que l’école n’est pas toute puissante, qu’elle n’est pas responsable de toute la misère du monde, ni de tous les maux de la société (Mas, 2023). Il ne s’agit donc pas ici de tomber ni dans le fatalisme, ni dans le « rassurisme » (Mas, 2017), mais à l’inverse de sortir du pessimisme scolaire. Le « discours de la déploration » risque en effet de devenir contre-productif puisqu’il accrédite l’idée que, dans le domaine de l’école, rien ne change jamais. Il débouche donc sur un constat d’impuissance qui risque d’entrainer la démobilisation générale des partisans de la démocratisation scolaire et la démoralisation du corps enseignant.
Reconnaître les timides progrès de la démocratisation scolaire c’est aussi prendre conscience que le processus démopédique est aussi un processus long et complexe qui ne se réalisera complétement que sur plusieurs générations ; c’est donc redonner des raisons d’espérer à l’ensemble des acteurs qui se battent au quotidien pour défendre l’école publique et la démocratisation de l’enseignement. L’accès de tous les élèves à un certain niveau de qualification, certifié par un diplôme reconnu, doit rester un objectif majeur des politiques éducatives car le diplôme reste, selon la formule de Tristan Poullaouec (2010) « l’arme des faibles ».
Notes
[1] Attention le graphique montre l’évolution des odds ratio, rapport des chances. Lorsque ce rapport diminue, l’égalité des chances progresse.
Bibliographie
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