11 avril 2025

Fondées sur la loi 1901, les associations représentent la possibilité de s’organiser librement envers une cause et sont porteuses d’un imaginaire mêlant défense de l’intérêt général, construction du lien social et gouvernance démocratique.

Laurence Maurin
Enseignante de SES, lycée Baudelaire, Annecy

Le développement des politiques de la jeunesse dans les années 1960, puis la recomposition des missions de l’État providence dans les années 1980 ont contribué à renforcer le rôle économique des associations dans la production de services. Ainsi, en 2010, ces dernières représentaient 50 % des structures d’accueil collectif de mineurs et 90 % des établissements d’accueil d’enfants en situation de handicap.

Elles sont devenues dans le même temps une sphère d’activité importante du monde du travail. Selon la dernière étude de 2018, en France, 15 % des associations sont employeuses : elles représentent 1,5 million d’emplois salariés en équivalent temps plein (INSEE, 2021). Par leur structure, les associations n’appartiennent pas à des personnes dépositaires de capitaux ; elles pourraient alors constituer des lieux où s’expérimente un modèle alternatif de travail (Bellaoui et Lamy, 2015)ourtant, selon le sociologue Matthieu Hély, ce n’est pas forcément le cas : une tension forte existe entre le statut associatif et les impératifs budgétaires ou liés aux ressources humaines rapprochant les associations de n’importe quelle structure employeuse (Hély, 2004).

Porté par des expériences de salariat puis de bénévole-employeur au sein d’associations mais également par un travail de recherche, Simon Cottin-Marx nous propose de décrypter ce décalage entre les valeurs du projet politique porté par les associations et une réalité souvent dégradée, et parfois conflictuelle, des conditions de travail, bien loin des espoirs des salariés.

Le premier chapitre explore les contradictions de ce salariat atypique dans des structures porteuses d’idéaux politiques.

Dans le monde associatif, le salariat « atypique » est la norme (Hély, 2008) ; les revenus sont plus bas que dans le secteur lucratif, les protections moindres, les profils de poste parfois flous. Le secteur mobilise abondamment le temps partiel. Afin d’expliquer pour quelles raisons ces emplois trouvent preneurs, l’auteur présente d’abord la « théorie du don » de l’économiste Anne Preston (1989) : les conditions de salaire, d’emploi et de travail moins bonnes du monde associatif seraient compensées par les bénéfices sociaux produits par les organisations dans lesquelles les salariés travaillent, comme la fierté de contribuer à une mission d’intérêt général ou la possibilité d’occuper un travail qui a du sens.

Cette analyse en termes de rétributions symboliques est ensuite nuancée. L’intérêt de ce chapitre consiste en fait à étudier la difficulté que rencontrent les salariés au sein de ces organisations. La particularité de la fonction d’employeur dans une association est d’être assurée par un collectif composé de bénévoles. Ces derniers se sont avant tout engagés pour une cause et assument parfois difficilement cette responsabilité, voire en méconnaissent la législation. Par ailleurs, au sein des associations coexistent des ressources bénévoles et salariées, aux frontières poreuses. Ainsi, par exemple, des tâches salariées ont pu être anciennement réalisées par des bénévoles ou, de façon réciproque, des salariés peuvent renoncer à certains droits, privilégiant le projet de l’organisation. À l’appui de plusieurs études, l’auteur montre que la coexistence d’un travail salarié et bénévole dans les organisations peut entraîner, du côté des salariés, une banalisation des heures supplémentaires, une dénégation de la qualification professionnelle (Combes et Ughetto, 2010) et générer un mal-être au travail. L’auteur conclut que si le registre de l’engagement tend à éclipser la dimension de domination du contrat de travail, la relation de travail dans les structures associatives n’exclut ni les tensions, ni les conflits.

Plusieurs extraits longs d’entretiens de salarié-es issu-es d’associations d’éducation populaire et de l’animation socioculturelle sont resitués dans leur contexte et donnent des illustrations parlantes, mobilisables par les professeur-es de sciences économiques et sociales (SES) dans les chapitres sur la mutation du travail et de l’emploi (la qualité des emplois et le travail comme facteur d’intégration) ou de l’engagement (le rôle des rétributions symboliques). D’autres témoignages de syndicalistes apportent des éclairages sur la difficulté à concilier travail salarié, engagement associatif et droit du travail, qui se situe à l’intersection de plusieurs chapitres du programme de terminale.

Le second chapitre détaille les effets d’une montée de l’influence publique sur le monde du travail associatif.

Le développement du salariat associatif entre 1980 et 2010 s’explique beaucoup par les transformations des politiques publiques : afin de réduire les coûts de l’intervention de l’État tout en affirmant l’objectif de lutte contre le chômage des jeunes, des missions de services publics ont été déléguées aux associations. Cela aboutit à une double conséquence : les contrats aidés offrent aux associations de la main d’œuvre quasiment gratuite ; en outre cette « publicisation du privé associatif » (Moulevrier et Hély, 2013) aboutit à une forme de mise sous tutelle d’un grand nombre d’associations. Ce monde du travail devient selon l’auteur une « quatrième fonction publique précaire ».

Dernier mécanisme à l’œuvre dans ces rapports entre public et privé non lucratif : la transformation du financement de ces structures, qui est passé d’une logique de subventions à une logique de marché public, c’est-à-dire à un financement lié à une prestation réalisée par l’association. Cette marchandisation des rapports entre les pouvoirs publics et les associations a, pour l’auteur, deux conséquences majeures : la concentration des financements sur les organismes de grande taille et le renforcement du rôle de prestataire du monde associatif, amoindrissant la capacité à contester certaines orientations des pouvoirs publics.

Une étude de cas présente l’évolution du contexte des missions du Comité inter-mouvements auprès des évacués (la Cimade) dans les centres de rétention administratifs, désormais mise en concurrence avec d’autres associations, par le biais des marchés publics. Des effets concrets sont observés sur les conditions d’exercice et la liberté de parole des salariés. Si la thématique n’est pas centrale dans le chapitre sur l’engagement, cet exemple peut permettre d’échanger avec les élèves sur l’existence de contre-pouvoirs et de leurs marges de manœuvre.

Dans un dernier chapitre, l’auteur propose des idées et dispositifs qui semblent avoir fait leurs preuves pour que les associations ne se pensent plus seulement sur le registre de l’engagement mais aussi comme un monde du travail à part entière. Vis-à-vis de l’État « patron », elles auraient à revendiquer des moyens de fonctionnement suffisants et devraient refuser la mise en concurrence entre elles. En tant qu’organisations autonomes des pouvoirs publics, elles devraient investir leurs responsabilités de structures employeuses en permettant la mise en place d’un dialogue social réel, en acceptant également des médiations pour réguler les conflits du travail. Ce chapitre, davantage opérationnel, intéressera plutôt les structures employeuses ou cherchant à le devenir.

Au final cet ouvrage offre à l’enseignant-e de SES de nombreuses pistes pour mobiliser des notions au programme de terminale, à la croisée des thématiques de l’engagement, des politiques de l’emploi, des transformations du travail et de l’État providence. Dans le cadre du programme de seconde, une utilisation possible pourrait être de confronter les élèves à des exemples d’organisations privées non lucratives et employeuses, contribuant à étoffer leurs représentations sur les ressources humaines et la prise de décision dans le monde de l’économie sociale et solidaire. Plusieurs témoignages détaillés de salariés ou de représentants syndicaux dans des structures associatives offrent des exemples facilement mobilisables et éclairants.

Bibliographie

Bellaoui N., Lamy, M, 2015, « Les associations, lieu de réinvention du travail ? », Mouvements, vol. 81, n° 1, p. 71-76.

Ughetto P, Combes M.-C., 2010, « Entre les valeurs associatives et la professionnalisation : le travail, un chaînon manquant ? », Socio-logos, vol.°5. En ligne : http://journals.openedition.org/socio-logos/2462

Dumartin S., Firquet S., 2021, « 1,3 million d’associations : des hôpitaux et Ehpad aux associations de parents d’élèves et aux clubs de gym », INSEE Première, n°°1857. En ligne : https://www.insee.fr/fr/statistiques/5365639

Hély M., 2008, « À travail égal, salaire inégal : ce que travailler dans le secteur associatif veut dire », Sociétés contemporaines, vol.°69, n°1, p. 125-147.

Hély M., Moulevrier P., 2013, L’Économie sociale et solidaire : de l’utopie aux pratiques, Paris, La Dispute.